Les deux paris
Tout le monde connaît le proverbe latin : " Si vis pacem, para bellum " .
Pour nous préparer aussi intensément à la guerre, Emmanuel Macron est certainement un ardent pacifiste. Mais ce qui était raisonnable au temps des Romains l’est-il toujours à notre époque où une dizaine de pays sont dotés des moyens de réduire la planète en cendres ?
Après la décision d’augmenter significativement le budget de la défense, le service militaire est de retour, pour les volontaires nous assure-t-on, du moins dans un premier temps. L’armée devient la composante essentielle de la nation, Macron adopte de plus de plus une posture de chef de guerre, il parle même d’un nécessaire « réarmement démographique » du pays, sans doute pour grossir les rangs des futurs conscrits. La guerre s’insinue donc progressivement dans les esprits, elle envahit les écrans avec les conflits ukrainien, palestinien, soudanais, elle serait d’ailleurs déjà là, en incubation un peu partout sur le territoire européen. Des drones survolant de temps en temps des espaces dits sensibles, des attaques informatiques piratant des logiciels, des sabotages présumés sur des lignes ferroviaires en Pologne, toutes ces manœuvres de déstabilisation sont autant de signes d’une menace russe qui se précise et monte peu à peu en puissance. Les généraux en retraite et autres spécialistes militaires se livrent à des analyses et spéculations angoissantes sur les chaînes d’information en continu. On chauffe les têtes, on exalte les valeurs patriotiques, les jeunes consommateurs doivent se muer en défenseurs de la nation. Les équilibres internationaux résultant de la deuxième guerre mondiale vacillent et les espoirs de vivre dans un monde en paix semblent s’éloigner à grand pas.
Dans un monde fracturé, instable, en concurrence pour l’exploitation des ressources minières et la commercialisation de productions de toute nature comment peut-on espérer développer l’amitié et la concorde entre les peuples ?
Un nouveau type de guerre froide s’installe dans un monde multipolaire pourvu d’un arsenal nucléaire qui n’en finit pas de croître.
La puissance et la diversité du matériel militaire donnent aujourd’hui le vertige. Des sommes colossales sont englouties dans une industrie destinée à répandre la mort le plus efficacement possible. Cette course à l’armement engagée partout et notamment en Europe sous l’impulsion de dirigeants qui ne peuvent être qualifiés d’hommes de paix est dangereuse car elle augmente les risque d’une escalade qui pourrait être fatale dans le cadre du conflit russo-ukrainien, la Russie disposant de l’arme nucléaire. Ce risque d’apocalypse est d’ailleurs bien présent à l’esprit des responsables politiques occidentaux car sinon comment expliquer la réticence de l’UE et de l’OTAN à aider davantage l’Ukraine et à s’engager résolument à ses côtés avec des moyens militaires conventionnels qui sont considérablement plus importants que ceux de l’agresseur russe.
C’est bien parce que le concept de dissuasion nucléaire est théorique et qu’il est impossible d’assurer que cette dissuasion est efficace à 100 % que les dirigeants occidentaux laissent la Russie dépecer l’Ukraine. Comme l’écrivait Bernard Brodie, stratège américain renommé à l’époque de la guerre froide : « « C’est un curieux paradoxe de notre temps que l’un des facteurs essentiels qui font que la dissuasion nucléaire marche vraiment, et marche bien, est la peur sous-jacente qu’elle pourrait échouer en cas de crise très grave. Dans ces circonstances, on ne tente pas le destin. Si nous étions absolument certains que la dissuasion nucléaire était efficace à cent pour cent dans son rôle de protection contre une attaque nucléaire, alors sa valeur dissuasive contre une guerre conventionnelle tomberait à peu de chose ou même à zéro »
Aujourd’hui, l’humanité est lancée dans une course folle aux armements tout en faisant le pari que le pire n‘adviendra pas et qu’elle n’utilisera pas ses productions et notamment les plus destructrices d’entre elles ce qui signifierait sa fin. C’est un pari mais un pari extraordinairement risqué
Dans le même temps, elle continue à être tributaire d’ un système économique orienté vers la croissance de biens matériels en tous genres ( dont les armes font d’ailleurs partie puisque l’industrie d’armement est aussi considérée , notamment en France, comme un vecteur de croissance et de prospérité économique) en misant sur le progrès et la technique pour résoudre les dégâts et les maux causés à l’environnement par ce modèle. C’est un pari qui enkyste une économie de guerre contre la nature qui ne peut perdurer. Les dégâts causée par notre société productiviste ne cessent de s’intensifier, comme le montrent les inondations catastrophiques survenues récemment en Asie du Sud-Est. Et ces dégâts ne peuvent qu’accroître les tensions et rendre le monde de plus en plus instable augmentant ainsi les risques d’un conflit généralisé et d’une apocalypse nucléaire.
Il serait grand temps pour l’humanité d’abandonner ces habits guerriers si elle ne veut pas perdre ses deux paris.