Que peut-il bien se passer dans la tête de François Hollande ? Y a-t-il une tempête sous ce crâne présidentiel ? F Hollande se considère-t-il encore comme socialiste ? Peut-il réellement avoir le sentiment de se situer dans la lignée d'un Jaurès ? Comment peut-il appeler de ses vœux la République sociale(1) et mettre en place le pacte de responsabilité qui menace de réduire considérablement les budgets sociaux ?
A-t-il seulement conscience de ses reniements et d'avoir menti aux français par opportunisme électoral ? Nous savons tous que le mensonge est inhérent à la vie politique – de nombreux auteurs ont disserté à ce sujet- mais, pour être acceptable et accepté, il doit être contenu, ne pas éclater sur la place publique, rester tapi dans l'ombre des cabinets ministériels, rester un mensonge par omission, par dissimulation, demeurer en quelque sorte un vice caché. Or ce qui caractérise désormais notre vie publique, c'est la multiplication des désillusions, des déceptions, après chaque grande élection. Les renoncements et les volte-faces politiques présentés comme allant de soi sont autant de mensonges avérés, flagrants, brutaux lorsque l'opinion publique les confronte aux déclarations passées.
Avec F Hollande, ce phénomène prend une ampleur inhabituelle car, en tant que candidat socialiste, il représentait jusqu'à son élection une alternative fermement déclarée au sarkozysme : son électorat attendait une rupture franche avec l'idéologie néolibérale et les pratiques autocratiques qui caractérisaient l'ancienne présidence. Or de ce point de vue, l'amertume est immense : le fond et la forme ont perduré.
Nos institutions portent évidemment leur part de responsabilité : la Vème République avec sa structure pyramidale agit comme un formidable stimulant du mensonge politique qui est de plus en plus considéré par les prétendants à la magistrature suprême comme un outil d'accès au pouvoir dont on ne peut faire l'économie.
Et le plus choquant c'est qu'il se trouve encore une majorité de dirigeants et militants socialistes - bien que quelques députés frondeurs semblent ouvrir la voie à une contestation interne plus affirmée- pour considérer que cette politique se situe dans la droite ligne du discours du Bourget et des engagements de campagne de leur candidat. La personnalisation de la vie politique induite par la Vème République, le culte du chef, transforment une dérive personnelle en une dérive collective. Les militants socialistes relaient et amplifient les mensonges du chef de l'Etat.
Enfin, comment peut-on accepter – dans une démocratie soi-disant adulte - que l'ensemble de notre vie politique et sociale soit en grande partie déterminée par les convictions, les agissements d'un seul homme, par ses forces et ses faiblesses, par sa fermeté d'âme ou au contraire sa mollesse ou sa frivolité ?
Car il nous faut admettre que le mensonge en politique - et c'est peut-être finalement le cas le plus fréquent - résulte aussi souvent de l'évolution, de la transformation personnelle de celui à qui le peuple a accordé indûment sa confiance. Les hommes politiques sont des adeptes de la métamorphose – d'aucuns diront qu'ils s'adaptent – et leurs vérités sont fragiles, mouvantes, un peu comme les sables qui ne peuvent conserver longtemps la trace d'une empreinte. Finalement, ils ne trahissent que les électeurs qui restent fidèles à une image qui n'a plus de réalité.
Dans son livre de mémoire « J'avoue que j'ai vécu » Pablo Neruda évoque la trajectoire du « Judas chilien », le président Gonzales Videla (président de la République entre 1946 et 1952) qui, après s'être fait élire sur des principes d'équité et de justice « se transforma peu à peu en richissime et tout-puissant financier » ; il raconte notamment cette anecdote : Le soir même où il entreprit sa grande répression anticommuniste, il invita à dîner deux ou trois dirigeants syndicaux. Le repas fini, il descendit avec eux les escaliers du palais et, essuyant quelques larmes, il leur dit dans une accolade : "Je pleure parce que j'ai demandé qu'on vous arrête en sortant d'ici. Je ne sais pas si nous nous reverrons " »
F Hollande pleure-t-il en son for intérieur en invoquant Jaurès, ce socialiste qui voulait « installer la République au cœur de la société française et la justice sociale au cœur de la République » ? Nul ne le sait, mais une évidence s'impose à tous ceux qui l'écoutent : le mensonge et la trahison sociale sont désormais, avec lui, au cœur de la République.
(1) « Pour lui, pour nous, la République politique, devait déboucher sur la République sociale. » F Hollande lors du discours de Carmaux pour le lancement de l'année Jaurès.