Avec le naufrage lamentable de François Fillon et l’échec retentissant de Manuel Valls à la primaire de la Belle Alliance, une candidature unique de gauche, mandatée pour rompre avec le système libéral qui impose sa loi depuis maintenant des décennies dans tous les pays européens, avait toutes les chances de remporter cette élection présidentielle.
Mais cette opportunité semble désormais inenvisageable, inatteignable, car la gauche alternative demeure profondément divisée et paradoxalement prisonnière des institutions d’une Vème République dont elle réclame la fin.
Benoît Hamon en est le premier responsable puisqu’il ne veut pas être le candidat de la rupture avec le PS. Il aurait pu se considérer comme le porte-parole d’une véritable fronde, désigné dans le cadre d’une primaire des gauches ; au lieu de cela, il reste le candidat issu de la primaire socialiste. Abandonné par les caciques du PS, ignoré et méprisé par le Président, il fait mine de rien en ayant soin de ne pas froisser ceux dont il essuie les critiques. Il demeure loyal à un parti discrédité alors que la situation requiert de l’audace et un engagement véritablement résistant. Il ne veut pas couper les têtes alors que l’appareil socialiste place déjà la sienne sur le billot. Il court à la défaitecomme un brave petit soldat obéissant à ses chefs.
Mais Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise portent aussi leur part de responsabilité. Exaspérés par les trahisons de ce gouvernement socialiste, les insoumis privilégient désormais la compétition et l’affrontement en misant sur la défaite de l’allié indésirable dans la perspective d’une recomposition de la gauche organisée autour de leur mouvement. C’est, il me semble, privilégier la défaite à la victoire partagée. Et cela traduit aussi un manque de confiance dans notre capacité, en tant que citoyens engagés, à imprimer une volonté collective et un véritable contrôle sur cette élection. En pariant sur la victoire de leur leader et en comptant sur lui pour imposer d’en haut le changement, les militants de la France insoumise se coulent paradoxalement dans le moule des institutions de la Vème. Pourtant, un accord programmatique avec Benoît Hamon aurait sans doute eu l’avantage d’engager, de lier encore plus fortement le candidat en charge de porter l’aspiration collective. Imagine-t-on, une fois élu, le candidat retenu, quel qu’il soit, abandonner le projet d’une VIème République et renoncer aux autres mesures d’un programme arrêté conjointement ? Toute candidature d’union aurait été de facto une candidature entourée, et soumise au contrôle citoyen. Le désaccord sur la question européenne aurait par exemple pu être tranché par l’organisation d’un référendum (que Benoît Hamon aurait été dans l’impossibilité de refuser). Et le parti socialiste aurait été bien plus sûrement défait par cette union que par la perte de son leadership dans une élection remportée au final par la droite ou l’extrême droite. Par contre la désunion et la défaite très probable des deux candidats va probablement précipiter l’ensemble de la gauche alternative dans le ressentiment et dans une crise durable.
Derrière Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ( et je parle bien ici des citoyens), il y a une France qui rejette le capitalisme financier ainsi que toutes les institutions et les règles qui sont chargées de le rendre indépassable. Mais cette France risque fort d’être privée d’une victoire libératrice car le quinquennat catastrophique de François Hollande a fabriqué une désespérance aveugle qui déchaîne les passions et préfère l’affrontement suicidaire au compromis.