La France doit avoir l’âme romantique. Notre vie politique est souvent marquée par de grands débats éthérés autour de questions qui n’ont qu’une portée pratique très limitée voire inexistante mais qui possèdent une valeur symbolique forte. Après le mariage pour tous, le débat sur la déchéance de nationalité pour les auteurs de crimes ou de délits en lien avec une entreprise terroriste déchaîne les passions car c’est le marqueur idéologique du moment, la nouvelle ligne de démarcation entre la gauche et la droite. Sans efficacité dissuasive et dénuée d’une réelle charge répressive, la perte de nationalité frapperait de fait les français disposant de la bi-nationalité et cela constitue donc une rupture avec le principe d’égalité devant la loi. Le gouvernement a mis au point une arme de destruction massive pour les valeurs de la gauche qui n’aurait qu’un effet insignifiant sur les personnes visées. Le tumulte est maximum pour un effet réel minimum ! Le projet de révision constitutionnelle entraîne une poussée de fièvre parlementaire et permet aux orateurs des deux camps d’enflammer les esprits et les cœurs par de grandes envolées lyriques.
François Hollande et Manuel Valls réalisent aujourd’hui à quel point ce projet de loi, glané dans le corpus idéologique de la droite afin de satisfaire les aspirations sécuritaires du moment, brusque leur majorité et entraîne une fracture dans les rangs socialistes. Acculé, le gouvernement est prêt à user de tous les artifices pour travestir sa politique, adoptant des méthodes d’essence totalitaire. En gommant la référence à la bi-nationalité dans le dernier projet de loi constitutionnelle, il essaye désespérément de surmonter la difficulté en l’escamotant, un peu comme si un médecin, en choisissant de ne pas nommer la maladie, espérait la faire disparaître.
Mais le mal est fait. Manuel Valls peut bien, devant la représentation nationale, plaquer de grands principes sur des bassesses et clamer stupidement que « la déchéance de nationalité fait partie intégrante de la République », le détournement des mots n’efface pas la réalité. Les citoyens savent bien que la république s’étiole depuis des années et que nos politiciens discourent avec emphase sur des valeurs qui ne sont plus que des ombres portées par nos révolutions anciennes. A cet égard, le débat actuel est un peu surfait, voire pervers. Certains imposteurs sont tentés d’en profiter pour se racheter une conduite - en l’occurrence une appartenance à la gauche - à bon compte. Une certaine Christiane Taubira s’est subitement drapée dans ses valeurs de gauche bafouées, s’est offusquée, a finalement choisi de partir pour laisser « le dernier mot à l’éthique et au droit », en des termes d’autant plus retentissants et médiatisés que ses gestes de désapprobation étaient jusqu’alors minuscules. Christiane Taubira n’a pas voulu franchir ce Rubicon avec le reste de l’équipée en perdition. Mais le verbe et la posture de l’instant ne peuvent faire oublier son bien médiocre bilan au ministère de la justice et sa loyauté encore réaffirmée à François Hollande.
Son départ, analysé froidement, reste un épiphénomène : ce gouvernement pratiquait une politique de droite bien avant ce déshonneur ultime et il est difficile de comprendre les réactions admiratives suscitées par une résistance si tardive et sans véritable effet à ce stade. Le regain de popularité de Taubira auprès de certains militants de gauche après ce spectacle si savamment mis en scène nous montre à quel point l’affect, l’émotion instantanée, ont tendance à prendre le pas sur l’analyse et le décryptage, même chez des citoyens ou des dirigeants politiques que l’on pourrait croire plus perspicaces et plus intransigeants..
Les beaux parleurs, les manipulateurs et autres jeteurs de poudre aux yeux ont encore de beaux jours devant eux, notamment dans le cadre de nos institutions. Malgré nos multiples désillusions antérieures, nous sommes toujours aussi prompts collectivement à nous chercher un homme ou une femme providentiels !
Nous souffrons décidément d’une personnalisation excessive du pouvoir et l’appel à des primaires, porté notamment par un certain nombre de frondeurs socialistes, n’est vraiment pas de nature à remédier à cette tare démocratique. Comment espérer un sursaut citoyen et un véritable changement en s’inscrivant dans le cadre d’un processus qui encourage les aventures personnelles et favorise la politique du spectacle et la manipulation de l’opinion ?