Il regardait l'oeil de la caméra et avait l'impression de regarder tous les Français dans les yeux.
En plein été, le Premier ministre François Bayrou lance sa chaîne « FB direct» sur You Tube pour soit disant communiquer sans filtre avec ses compatriotes et leur rappeler une nouvelle fois l'immense péril qui les menace ; quelques podcasts qui se veulent pédagogiques doivent permettre de sensibiliser les Français au surendettement du pays et à la nécessité d'y mettre fin le plus vite possible. A l'heure où le dérèglement climatique et la crise écologique s'amplifient spectaculairement (avec notamment le gigantesque incendie dans le massif des Corbières) et alors qu' une part de plus en plus importante de la population est touchée par le chômage et la pauvreté, il n'y a décidément que le problème de la dette publique qui hante le Premier ministre et le pousse à alerter l'opinion afin de la préparer aux mesures drastiques qui s'imposent.
Quel drôle de bonhomme tout de même ce François Bayrou ! Comment peut-on tourner le dos aux urgences du moment avec autant d'assurance, d'emphase et de fatuité ? Comment peut-on être à ce point en décalage avec les préoccupations de ses concitoyens ?! Comme l'on dit vulgairement, il a tout faux, sur le fond bien sûr quand le pouvoir se refuse à taxer les superprofits et les grandes fortunes, et plus encore sur la forme. A l'heure où tous les Français n'aspirent qu'à oublier les vicissitudes et les obligations du quotidien, le travail contraint et tous ces petits et gros tracas qui leur dévorent l'existence pour enfin retrouver la liberté du temps choisi et s'adonner à des activités détachées d'une quelconque obligation de résultat, de rendement et de performance, il éprouve le besoin de leur seriner ses vieilles obsessions.
Et il parle de la dureté des temps à venir quand tant de Français sont déjà dans la difficulté ;
il parle de la gravité de la situation quand les Français n'aspirent qu'à une parenthèse d'insouciance ;
il parle d'efforts à consentir quand l'heure (d'été) est enfin au relâchement et à la détente.
Soucieux de son image et de la trace qu'il lèguera à la postérité, il éprouve sans nul doute de la fierté à tenir ce rôle, à faire preuve de clairvoyance et de volonté dans une ambiance générale de laisser-aller.
Le gouvernement est en vacances mais, lui, reste à son poste pendant tout l'été, il a 74 ans, il travaille encore et de surcroît ne prend pas de congés ! Quel homme ! Ah si tous les Français pouvait avoir son allant, son tempérament, sa force d'âme, nous n'en serions pas là ! Il ne serait évidemment pas question d'endettement et encore moins de remettre la France au travail.
Possédé par l'esprit du temps, imprégné par l'idéologie néolibérale, François Bayrou est condamné à ne voir et ne considérer toute chose qu'au travers du filtre apposé par l'industrie et la finance, à n'envisager l'existence – et en particulier celle des autres - que sous l'angle productif. Pour cet homme si fier de ses racines paysannes, il faut sans cesse produire, produire toujours plus, produire plus intensément, en s'inspirant sans doute du modèle agricole qui marche si bien pour l'appliquer à l'ensemble de la société. . .
Oui, mais voilà, les Français ne veulent plus produire afin de permettre l'accumulation pour une minorité.
François Bayrou ne veut pas le comprendre et il s'expose donc à une rentrée particulièrement laborieuse. . .