Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

Abonné·e de Mediapart

638 Billets

3 Éditions

Billet de blog 8 mars 2014

Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

Abonné·e de Mediapart

Entre les loups

Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alain Resnais est mort samedi dernier 1er mars. La chaîne Arte lui a rendu hommage cette semaine en diffusant, mercredi soir, une de ses plus grandes oeuvres : « Mon oncle d'Amérique ». Dans ce film, le cinéaste, pour expliquer le comportement et les réactions de ses personnages, prend appui sur les travaux du biologiste et philosophe Henri Laborit. L'homme, conditionné dès son enfance, imprégné par son milieu socio-culturel, devenu adulte, reproduit à son insu des schémas de comportement qui ont pour but de satisfaire son besoin de domination mais qui peuvent, dans un environnement contraint et hostile, le conduire à sa perte et contribuer au malheur de son entourage.

Les dernières images du film ne nous incitent pas à l'optimisme : elles montrent des paysages urbains dévastés, des façades d'immeubles délabrées, des scènes de catastrophe, conséquences funestes de quelque crise que l'on imagine issue des soubresauts de l'inconscient humain, de pulsions insurmontables ; seule échappatoire possible : la fuite par l'imaginaire, symbolisée par un arbre luxuriant, peint en trompe-l'oeil sur l'une des façades. Et l'homme de science reprend une dernière fois la parole : « Tant qu'on n'aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent et tant que l'on n'aura pas dit que jusqu'ici cela a toujours été pour dominer l'autre, il y a peu de chance qu'il y ait quoi que ce soit qui change. » 

La crise ukrainienne et les tensions particulièrement vives qui ressurgissent à cette occasion entre la Russie et le bloc des nations occidentales font écho aux réflexions et aux thèmes abordés dans le film. Cette crise met en effet en scène, en arrière-plan, derrière les manifestants de Maïdan et les russophones de Crimée, des hommes entièrement mobilisés par la satisfaction de leur appétence pour la domination : de grands fauves politiques, de grands dominateurs, dont la figure emblématique est évidemment Vladimir Poutine mais que l'on retrouve de chaque côté de la ligne d'affrontement. Ces hommes qui tentent de détourner à leur profit cette crise et les divisions de la société ukrainienne illustrent une nouvelle fois la perversité, la dangerosité de notre besoin de domination, une motivation quasi-inconsciente et irrésistible qui aveugle la raison des hommes et peut les conduire à l'abîme.

L'histoire planétaire est marquée par une longue succession de guerres et de conflits de toutes sortes : conflits territoriaux, conflits religieux, conflits ethniques, conflits économiques. La fin de l'histoire, un temps imaginée par Francis Fukuyama, ne semble pas déverser ses eaux apaisantes sur l'humanité. Elle n'aura probablement pas lieu sous le règne de la démocratie occidentale, parasitée et phagocytée par un libéralisme et un matérialisme outranciers. Aujourd'hui, le capitalisme financier mondialisé qui relie toutes les places boursières internationales a passé des menottes aux poignets des dirigeants de tous les pays, les incitant au pragmatisme et à la retenue, mais cette « pax economica » est extraordinairement fragile et elle exacerbe aussi les frustrations et les tensions résultant d'une compétition économique sans fin. La camisole idéologique libérale et matérialiste qui étreint notre civilisation n'empêche en rien les dictateurs et autres autocrates d'assouvir leur soif de domination en martyrisant leurs peuples pourvu que cela ne contrevienne pas trop aux intérêts économiques des dominants. Et l'oppression économique que subissent quotidiennement les citoyens et qui lamine aussi les cultures, les traditions, les modes de vie,  finit par provoquer le retour en force de pulsions identitaires qui puisent leur force au tréfonds des inconscients collectifs.

L'Ukraine, comme beaucoup d'autres pays dans le monde issus de la décomposition d'empires passés, est constituée d'une mosaïque de peuples qui aspirent chacun à conserver leur langue, leur religion, leurs particularismes, bref tout leur cadre socio-culturel. Pour son malheur, c'est aussi un pays affaibli par une crise économique sévère et un territoire charnière entre des zones d'influence qui n'entendent aucunement « céder du terrain » et offrir des perspectives plus larges à un autre compétiteur. Il n'en faut pas plus pour que les grands fauves comme Poutine se réveillent et jouent sur les peurs et les réflexes malsains de domination ou de résistance à une supposée domination. De l'autre côté les dirigeants de l'Union Européenne et des USA n'ont rien d'autre à offrir que des prêts conditionnés et la perspective de mettre le pays et ses citoyens sous la coupe du FMI. La population ukrainiennne, entourée de tous ces loups assoiffés de pouvoir et de profit, intoxiquée par la désinformation des uns et des autres, aura bien du mal à choisir librement son destin.

Pour citer une nouvelle fois Henri Laborit, on est encore très loin « d'imaginer des rapports interindividuels permettant l'établissement de groupes humains capables eux-mêmes de s'intégrer sans antagonisme dans des ensembles humains de plus en plus importants pour parvenir enfin à constituer un organisme planétaire fonctionnant harmonieusement et permettant à chaque individu d'oeuvrer de telle façon, pendant sa courte vie, qu'en assurant celle-ci il assure en même temps celle de l'espèce ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.