Un directeur des ressources humaines est malmené, perd sa chemise, et une certaine France est « sous le choc ». Les classes dangereuses sont de retour et menacent l’ordre du marché. Le premier ministre réclame des « sanctions lourdes » pour les coupables et se laisse aller à des propos très durs : « Ces agissements sont l’œuvre de voyous » qui font « mal à l'image de la France », « La justice devra identifier ceux qui se sont livrés à cette violence inqualifiable ». Dans le même élan, il n’oublie pas le traumatisme subi par les victimes : Manuel Valls exprime sa solidarité et même son « affection » vis-à-vis de la direction d’Air France.
François Hollande déplore, quant à lui, « des violences, des contestations qui prennent des formes inacceptables ».
L’extrême fermeté pour les salariés, la compassion pour le patronat : les prises de position du pouvoir socialiste à l’occasion des dernières péripéties du conflit social à Air France illustrent métaphoriquement toute la politique du gouvernement qui est orientée quasi -exclusivement vers la défense des intérêts du capital.
Le capital, c’est bien connu, n’apprécie pas l’instabilité sociale et François Hollande, en visionnaire, « voit ce que ça peut avoir comme conséquences sur l’image, sur l’attractivité » du pays. Si les investisseurs étrangers ne peuvent plus restructurer, si les fonds de pension ne peuvent plus dépecer librement des entreprises vendues à la découpe sans encourir les foudres de salariés licenciés, l’attractivité de notre bonne terre de France est effectivement menacée. La barbarie du capitalisme financier doit pouvoir se déployer en toute tranquillité, dans la tempérance du « dialogue social » et des comités d’entreprises sinon les entrepreneurs iront chercher ailleurs des cieux plus cléments et plus propices à leur bonne santé physique et financière.
Un chien ne doit jamais mordre son maître.
L’annonce du licenciement de 2900 personnes touchant à nouveau des catégories de personnel déjà bien éprouvées - notamment les personnels au sol - était pourtant d’une grande violence mais cette violence là est admise : elle fait partie des règles du jeu. Comme font partie des règles du jeu, les humiliations, les brimades, les vexations, et tous les mécanismes de domination et de sujétion qui sont le lot quotidien de nombreux salariés dans les entreprises. Cette violence psychologique, liée au lien de subordination qui découle du contrat de travail, est banalisée, admise, presque considérée comme normale. L’Etat « socialiste » pourrait réguler, chercher à limiter les appétits et les excès d’un capitalisme de plus en plus insatiable, mais il n’entend pas brider la productivité et la compétitivité de l’Entreprise, considérée comme l’unique source de richesse, et le vecteur de cette croissance tant convoitée. Il faut donc détruire des emplois, briser de l’humain, dans l’espoir de créer plus tard des emplois encore plus précaires et plus dévalorisés. La violence du capital, réfléchie, planifiée, organisée, est donc légitimée par le pouvoir et la simplification annoncée du Code du travail promet de l’amplifier encore dans les années à venir. Souvent, cette violence sociale, qui s’accumule et qui s’amplifie, ne permet pas à ceux qui la subissent de s’en extraire et d’exercer un recours véritablement salvateur ; elle débouche alors sur des actes de rébellion qui ne peuvent être maîtrisés par des instances représentatives et canalisés par des formes de protestation traditionnelles. Et l’on voit soudain, dans un climat social dégradé, des cadres dénudés, désemparés, escalader à la hâte des grillages de sécurité, victimes d’un orage imprévu.
Les médias ne retiennent que cette violence spectaculaire de rustres, trop fruste et trop désordonnée à leur goût, et ils ne veulent pas comprendre.
Le réchauffement climatique -social et environnemental- ne peut pourtant rester sans conséquence.
Sans un Etat soucieux de préserver nos biens communs et de modérer les excès engendrés par une recherche de profit irraisonnée, le capitalisme ne peut que déboucher sur la violence et le chaos, violence des rapports sociaux mais aussi chaos environnemental comme en témoignent les dégâts sur la côte méditerranéenne provoqués par une nature qui, elle aussi, est sortie de ses gonds.