Pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la France a-t-elle jamais pu se targuer d’être la “patrie des droits de l’homme “ ? Aujourd’hui, le constat est sans appel : non seulement, elle n’est pas à la hauteur de ce titre prestigieux mais son image dans ce domaine ne cesse de se dégrader. Sa police et sa justice sont régulièrement pointées du doigt par des ONG, comités, observateurs internationaux. Ces institutions, qui devraient être au service du peuple et qui, en théorie, s'acquittent de leurs missions au nom du peuple, donnent de plus en plus l'impression d’être avant tout aux ordres d’un État autoritaire, répressif, violent, et liberticide. Les citoyens, et notamment ceux qui contestent l’ordre établi en manifestant ou en recourant à des actes de désobéissance civile peuvent avoir le sentiment d’être prisonniers d’un “système ou magistrats et policiers se prêtent la main” comme l’écrivait déjà en 1971 Michel Foucault dans une tribune.
Avec l’affaire Salah Abdeslam et le refus de la Belgique de transférer ce djihadiste vers la France, c’est sa justice qui est sous le feu des projecteurs et des critiques implicites d’un autre état membre de l’UE. La justice belge estime en effet que l’incarcération de Salah Abdeslam afin de purger sa peine de réclusion criminelle à perpétuité ( avec une peine de sûreté de 30 ans) qui serait par ailleurs effectuée dans une cellule équipée de caméras vidéo ne respecterait pas les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La perpétuité incompressible contrevient au principe de l’article 3 qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » et la surveillance vidéo permanente dont devait faire l’objet ce prisonnier particulier serait lui en contradiction avec l’article 8 qui prévoit que chacun a droit au “respect de (sa) vie privée et familiale”.
Si la France traitait tous ces détenus humainement et selon les règles du droit international, la justice belge n’aurait certainement pas donné suite à la requête des avocats de Salah Abdeslam. La décision de la cour d’appel de Bruxelles, saisie en référé, trouve sa justification dans les errements et les atteintes aux droits humains de la justice française. En dehors du cas de leur client, les avocats de Salah Abdeslam auraient d’ailleurs pu prendre appui sur un certain nombre de cas concrets.
Sans parler des conditions de détention liées à la surpopulation carcérale pour lesquelles la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (elle vient de l’être une nouvelle fois dans un arrêt du 6 juillet 2023 ), certains détenus, impliqués dans des dossiers sensibles sont de toute évidence soumis à “des traitements inhumains ou dégradants” qui ajoutent une peine à la peine. l’Etat français choisit alors délibérément d’ignorer la justice, qui en principe est là pour sanctionner tout en respectant les droits humains du condamné, pour satisfaire son désir de vengeance. La loi du talion prévaut alors.
Il y a par exemple l’assasinat d’Yvan Colonna en prison, laissé seul avec un co-détenu radicalisé qui avait proféré à son encontre des menaces de mort, où le scénario d’une vengeance d’Etat est tout à fait plausible;
Mais le cas de traitement inhumain le plus évident est sans doute celui de Georges Ibrahim Abdallah : incarcéré depuis 1984, il entamera le 24 octobre prochain sa quarantième année en cellule ! Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais, a été jugé en 1987 pour complicité d’assassinat, accusé d’avoir participé à un commando ayant provoqué la mort d’un membre du Mossad et d’un attaché militaire américain, agent de la CIA. Sa participation à ce commando n’a jamais été formellement prouvée mais, sous la pression des USA et d'Israël, il est maintenu en prison malgré les nombreuses demandes de libération et le fait qu’il soit libérable depuis 1999 (Lire ici l'article de Pierre Carles paru dans le Monde diplomatique d'août 2020) .
Yves Bonnet, directeur de la DST à l’époque de l’arrestation de Georges Ibrahim Abdallah, qui ne compte sans doute pas parmi les défenseurs des droits humains les plus engagés, estime “anormal et scandaleux de maintenir Georges Ibrahim Abdallah en prison“.
L'attitude scandaleuse des autorités françaises, cédant aux pressions d’ Israël et des USA pour infliger une peine inhumaine et dégradante à un militant de la cause palestinienne probablement innocent des faits qui lui sont reprochés et qui n’a de toutes façons jamais causé la mort de civils innocents contribue bien évidemment à ternir l’image de la justice française et à renforcer les préventions que l’on peut nourrir à son égard. Ses fautes et ses errements aboutisse à un résultat paradoxal : un terroriste islamique responsable de la mort de nombreuses victimes innocentes risque d’échapper à la peine de prison à laquelle il a été condamné en France alors qu’un militant probablement innocent croupit en prison, victime d’un terrorisme d’Etat.