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Billet de blog 11 février 2025

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Macron en bonimenteur de l'IA

Emmanuel Macron, en représentant du patronat français, mène des actions de lobbying en organisant de grandes manifestations promotionnelles. Après les sommets Choose France, voilà maintenant le sommet «  Pour l’action sur l’Intelligence artificielle ». . .

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La France est depuis 2019 , la championne d’Europe des IDE, des investissements directs étrangers, c’est une destination mondiale particulièrement attractive pour les capitaux.

Malgré le discours entêtant des politiciens de droite qui dénoncent en permanence le poids écrasant des charges sur l’économie française, les entrepreneurs semblent malgré tout disposer d’un écosystème - pour parler le langage des communicants- propice aux affaires. Depuis un certain temps, la protection sociale et la redistribution fonctionnent à rebours : les droits et les acquis sociaux des travailleurs ne cessent de s’étioler tandis qu’à l’inverse une assistance généreuse et dispendieuse accompagne les créations et les extensions d’entreprise, entretenant un flux massif d’argent public vers le privé. En outre, de nombreuses dispositions fiscales permettent des mécanismes d’optimisation et d’évitement de l’impôt pour les sociétés et notamment pour les grands groupes bénéficiant des conseils de spécialistes avisés. On peut le dire sans ambages : la France est un paradis fiscal pour les firmes du CAC 40.

Les entreprises peuvent sans complexe pousser leurs avantages au détriment de l’intérêt général et engranger toujours plus de profits car elles disposent au sein de l’appareil d’État d’un appui majeur et quasiment inconditionnel : le Président lui-même. Emmanuel Macron est de fait le représentant le plus influent du patronat français, il ne ménage pas ses efforts pour réformer la France selon les standards néolibéraux et la rendre plus attractive pour les investisseurs nationaux et étrangers auprès desquels il mène une action de lobbying intense en organisant de grandes manifestations promotionnelles.

Après les sommets Choose France, voilà maintenant le sommet «  Pour l’action sur l’Intelligence artificielle », Emmanuel Macron entend faire de notre pays un acteur de premier plan de l’IA , « il faut investir, investir, investir », cent neuf milliards d’euros d’investissements sont annoncés grâce notamment au concours des Emirats arabes unis. Les problèmes éthiques posés par le développement de cette technologie particulièrement invasive sont édulcorés ou passés sous silence. Priorité à l’innovation, le contrôle et la régulation sont des contraintes qui entravent la dynamique du secteur, « quand le monde s’accélère, on ne peut pas décider de ralentir, il faut y aller à fond ». Compte tenu des spécificités de cet outil, il y a tout lieu d’être inquiet !

Car l’Intelligence artificielle est un monstre technologique qui va bouleverser nos vies et nos rapports sociaux et dont il est impossible de prévoir tous les effets, c’est un saut dans l’inconnu qui nous est proposé avec l’assurance du bonimenteur de foire qui vante des ustensiles de cuisine.

Derrière le discours volontairement optimiste et lénifiant d’un co-président du Sommet ( Emmanuel Macron co-préside le Sommet avec le Premier ministre indien Narendra Modi) qui met en avant les progrès que l’IA est susceptible d’apporter dans de multiples domaines (santé, information, éducation, etc) à l’instar des promesses de progrès tous azimuts déjà entendues lors du développement de l’informatique, se cachent les méfaits et la dangerosité potentielle d’une technique dont la mise en place n’a fait l’objet d’aucun débat démocratique.

Au détour d’une interview, d’une déclaration ou d’une prise de position, la réalité du projet et son ambivalence apparaissent plus nettement derrière le voile de « l’Intelligence artificielle humaniste » que prétend mettre en place Emmanuel Macron.

Comme pour toutes les autres techniques, ce sont les usages qui en sont faits qui peuvent trancher l’épineuse question de son utilité réelle et du progrès qu’elle apporte à l’humanité.

Aujourd’hui, l’IA s’inscrit dans le cadre d’un système capitaliste qui est en quête perpétuelle de croissance, de productivité et de rentabilité. Ainsi pour l’économiste Philippe Aghion l’IA va permettre d’impulser une nouvelle croissance : « l’IA permet vraiment d’augmenter la croissance, on montre que les entreprises, lorsqu’elles adoptent l’IA, créent plus d’emplois globalement parce que l’IA vous rend plus productif et, quand vous êtes plus productif vous êtes plus compétitif, et donc vous augmentez votre marché mondial et donc la demande pour votre produit et donc l’emploi »

Le cadre, les acteurs et les objectifs sont définis et il apparaît évident que la création très hypothétique d’emplois est le paravent destiné à masquer le seul véritable objectif qui est l’augmentation des profits pour les grands groupes et en particulier les géants de la tech sur le marché mondial.

De la croissance et des profits supplémentaires pour les transnationales, pour toutes les activités y compris les plus nocives, est-ce un objectif vraiment souhaitable dans un monde marqué par une pollution généralisée, menacé par le dérèglement climatique et les pénuries de toutes sortes alors même que, de l’avis de tous les experts, l’IA va générer une demande considérable d’énergie supplémentaire et accentuer un extractivisme déjà dévastateur pour construire et alimenter les data centers nécessaires à son fonctionnement ?

L’IA est aussi un formidable moyen d’aliénation et de sujétion supplémentaire pour l’oligarchie dominante qui profite du système et qui ne veut surtout pas en changer. Elle se met en place au sein d’une économie capitaliste désormais dominée par des états à tendance totalitaire et par quelques multinationales du numérique, capables par le biais de la collecte des données personnelles des utilisateurs de leurs services ( réseaux sociaux, téléphonie mobile, internet, etc) de manipuler l’opinion à grande échelle pour servir leurs intérêts ou plus généralement les intérêts d’un système qui les favorise. Aliéner, assujettir, mais aussi mieux prévenir les oppositions, réprimer plus efficacement les luttes. . .

De ce point de vue, la position de la France est particulièrement inquiétante. Le journal Disclose a ainsi révélé que la France a plaidé - et c’est le seul pays européen a l’avoir fait- pour que tous les aspects concernant la sécurité et le maintien de l’ordre soient exclus du règlement européen destiné à encadrer les procédés de surveillance sophistiqués permis par l’IA.

Selon Emmanuel Macron, nous entrons avec l’IA dans une nouvelle ère de progrès. Mais de quel progrès parle-t-il et pour qui ? N’est ce pas encore une fois un grand bluff technologique ? (*)

Selon le mathématicien Cédric Vilani, « par rapport à la paix , l’équité, et la trajectoire écologiquement viable, les trois questions qui forment les grands critères actuels de progrès, l’IA représente au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe »

(*) selon l’expression de Jacques Ellul, en référence à son ouvrage « le bluff technologique »

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