C’est parti, pendant un mois nous voilà sommés de parler foot, de penser foot, d’aimer le foot, et de supporter l’équipe de France dans un grand élan de solidarité et de communion nationales. Et il nous faut faire la fête ! Il faut nous plier à cette injonction de plaisir et de liesse collective, sans doute pour mieux oublier la dureté et la fermeté grandissante d’un pouvoir soumis aux exigences totalitaires du capitalisme financier. Le football sera notre religion pour un mois et le pouvoir espère sans doute que cette brève parenthèse sera enchantée par les victoires de l’équipe de France, lui permettant au bout du compte, dans un moment d’égarement festif, d’imposer la loi El Khomry. François Hollande et Manuel Valls en sont réduits à compter sur les prouesses d’une équipe de football pour faire diversion et perpétrer leurs mauvais coups.
Une communication délirante entoure l’évènement. Après les polémiques récentes concernant la mise à l’écart de Benzema, le fameux slogan « Black, blanc, beur » de 98 n’est plus de mode mais l’équipe sélectionnée par Didier Deschamps nous est tout de même présentée comme le ciment de l’unité nationale, le nouvel élixir de jeunesse qui va permettre au pays de repartir de l’avant. En période de crise, le patriotisme est une valeur sûre. Et le conditionnement de masse est assuré : parqués dans les fans zones, nous sommes invités à brailler, sous surveillance policière, notre enthousiasme cocardier et à applaudir les buts de nos stars du ballon rond. Avant les humiliations que nous promettent la loi Travail, un peu d’extase collective et de chauvinisme débridé sont les bienvenus.
Les supporters remplacent les citoyens et les vociférations prennent le pas sur les revendications sous l’œil bienveillant du gouvernement. Ah, la belle expression populaire !
Le peuple n’est jamais autant écouté que lorsqu’il n’a rien à dire.
Les médias offrent une formidable caisse de résonance à tout ce tintamarre et accélèrent le glissement vers l’insignifiance. On oppose les travailleurs aux grévistes, les responsables aux gauchistes, et les fêtards aux grincheux qui sont priés d’oublier leur mauvaise humeur pour ne pas troubler la magie de l’EURO 2016.
Mais le divertissement immédiat prépare les déconvenues et les souffrances de demain.
Ce championnat d’Europe de football étale sans complexe la démesure du sport-business mais aussi toute la perversion d’un système économique et politique qui s’appuie sur le conditionnement de masse et l’aliénation. La France néolibérale peut dépenser environ 2 milliards d’euros dans la construction de stades et d’ infrastructures, promettre une prime de 300.000 € à des millionnaires en cas de victoire finale, engraisser une organisation mafieuse qui déborde d’argent sale (et profiter des opportunités de placement au Panama ou dans d’autres paradis fiscaux ) mais trouve insupportable que quelques droits et minima sociaux soient encore accordés à des smicards. Le football est merveilleusement en phase avec le capitalisme.
Mais, après tout, le marché impose sa loi avec l’assentiment des foules. Les amateurs de football ne sont pas prêts à déserter les stades, à se priver pendant un temps de leur divertissement favori, à renoncer à ces petits moments d’excitation passagère afin de dénoncer les dérives d’un sport ou soutenir un mécontentement populaire. Ils acceptent les salaires démentiels versés à quelques pieds inspirés, s’abonnent aux chaines sportives, achètent des billets déjà payés avec leurs impôts, et veulent s’enthousiasmer sans arrière-pensée.La grève des stades n’aura pas lieu car la jouissance immédiate est trop forte et le besoin de dérivatif trop impérieux. Pour fuir le système, le foot est une drogue dure et cette drogue nous est vendue avec la bénédiction des politiques.