Déjà une trentaine de bornes et portiques écotaxes détruits ou sérieusement endommagés et, confronté à cette fronde, l'Etat semble faire preuve d'une retenue et d'une mansuétude singulièrement inhabituelles. En Bretagne, principale région touchée par cette rébellion fiscale, les préfets condamnent « les actes de sabotage » mais sont « toujours dans une phase de dialogue et d'explication ».
Il y a très exactement cinq ans, en novembre 2008, de jeunes alternatifs de Tarnac, paisible localité corrézienne, étaient désignés à la vindicte populaire par la ministre de l'Intérieur de l'époque, Michèle Alliot-Marie, et jetés en prison, soupçonnés de sabotage d'une ligne caténaire TGV. Julien Coupat, le chef de bande, passa plus de 6 mois derrière les barreaux , mis en examen pour « direction d'une association de malfaiteurs et dégradations en lien avec une entreprise terroriste » avant d'être libéré et placé sous contrôle judiciaire. Parfois, l'Etat français ne badine pas avec la contestation violente ou présumée telle. Mais, face aux bonnets rouges qui défient ouvertement l'Etat en annonçant d'autres manifestations et en lançant des ultimatums, le gouvernement suspend l'écotaxe et vante les mérites du dialogue
Les casseurs de la FNSEA et du MEDEF sont traités avec bienveillance car ce sont finalement des tenants d'un ordre qu'ils ne remettent pas fondamentalement en cause. Leur colère et le désordre momentané qu'elle engendre est provoquée par la frustration, par la crainte de ne plus profiter d'un système économique dont ils ont largement tiré parti.
Ces chefs d'entreprises, ces agriculteurs de la FNSEA ( qui se considèrent d'ailleurs aussi comme des chefs d'entreprise), ces partisans de l'économie libérale, aspirent à maintenir la compétitivité du « modèle breton » en empochant au passage les aides de l'Etat et de l'UE mais en s'exonérant de toute responsabilité et de tout effort pour la collectivité. Ils veulent continuer à croître, à grossir, gavés, sous perfusion - notamment par le mécanisme des restitutions à l'exportation pour les industriels de l'agroalimentaire- et, habitués aux subventions, ne supportent pas l'idée de l'impôt, notamment écologique.
En 2008, l'Etat était menacé par de dangereux alternatifs, terrés dans leur repaire, une épicerie de village, et qui prônaient la frugalité et la sortie de la société de consommation. Aujourd'hui, les « bonnets rouges » bretons sont finalement de bons soldats du libéralisme à la française.
Entre des décroissants fanatiques et des patrons avides de croissance, de profits et d'exonérations de charges, l'Etat libéral sait reconnaître ses sujets ; la terreur ne peut venir que d'un camp.
Pour les gouvernements libéraux, le trouble à l'ordre public résulte bien, avant tout, de la dénonciation de l'ordre économique et social et de l'expression d'une solidarité à l'égard des plus démunis.
Manuel Valls, si prompt à expulser les Roms, et à exalter l'ordre républicain, ne paraît pas outre mesure choqué, perturbé, par les actes de vandalisme des casseurs de fisc. Notre ministre de l'intérieur reste coi, réservant sans doute ses mouvements de menton et ses menaces à d'autres catégories de manifestants. «Il y a une volonté de l’exécutif de régler ça par la négociation et d’éviter tout ce qui alimente le rapport de forces», indique un élu proche du locataire de la Place Beauvau. Mais, dans d'autres circonstances, l'exécutif n'hésite pas à montrer sa force et les violences policières peuvent alors s'exercer sans retenue et en toute impunité, couvertes systématiquement par notre ministre de l'Intérieur, comme lors de la dernière manifestation du DAL en soutien aux mal-logés, à Paris, le 19 octobre dernier, où Jean-Baptiste Eyraud (porte parole du DAL) avait été sérieusement blessé (deux côtes fracturées) par des CRS (lire ici).
Aujourd'hui, la posture adoptée par un pouvoir qui violente des manifestants pacifiques et qui fait presque acte de contrition face à la virulence et à l'outrance des casseurs de fisc nous renseigne, plus que toute autre mesure, sur sa vraie nature : celle d'un défenseur sans vergogne de l'ordre libéral.