Emmanuel Macron est le vainqueur, Emmanuel Macron est le meilleur d’entre nous, Emmanuel Macron est le Président et sa cour est déjà en mouvement, en soutien appuyé. Et, au lendemain de l’élection de ce jeune président révolutionnaire, la Vème République, doit reprendre de la vigueur et recouvrer toute sa plénitude.
Après les débats, après la confrontation des idées et des programmes, après l’éducation citoyenne le temps d’une campagne, il faut désormais organiser la grande régression démocratique, asseoir sur le trône notre nouveau monarque, légitimer le pouvoir d’une petite minorité afin qu’elle puisse prendre sans entrave des mesures correspondant à ses intérêts - les riches commencent vraiment à être fatigués des pauvres - et approuvées au final par moins de 7 % de l’électorat ( Macron n’a réuni sur son nom que 43% des électeurs inscrits et, parmi ceux-ci, seuls 16% se sont déterminés en fonction de son programme ; pour des explications plus complètes sur les votes, lire l'enquête de l'institut Ipsos/Sopra steria ).
Après le temps du respect de la diversité, après la dénonciation des extrêmes, après le rempart contre la brutalité du Front National, voici venu le temps du viol des consciences , du mépris assumé, de la réécriture de l’élection à la gloire du vainqueur : « les Français ont tranché », « Macron réalise un des meilleurs scores de l’histoire de l’élection », « Emmanuel Macron est loin d'être le président le plus "mal élu" de la Ve République », etc.
Après le vote, après ce bref instant de liberté consenti, il va falloir, pendant cinq longues années, domestiquer, contrôler, le peuple. Après une élection aussi particulière, il faut d’urgence élargir l’assise du Président, tout à la fois fortifier et adoucir son image, alimenter l’imaginaire populaire.
Pour préparer les législatives et pour faire face au 3ème tour social qui s’annonce, certains médias télévisuels, s’empressent de diffuser des reportages retraçant l’épopée glorieuse, le parcours et l’accession au pouvoir du nouveau chef. Le documentaire « Macron, les coulisses d’une victoire », programmé sur TF1 dès le lendemain de l’élection, est une sorte d’ode au macronisme. Emmanuel Macron y apparaît perpétuellement détendu, souriant, proche des gens. Son parcours d’accession au pouvoir y est décrit comme un modèle de volonté, d’optimisme réfléchi, mais aussi de décontraction, avec en contre-point l’agitation fébrile et démagogique de Marine Le Pen. Par effet de contraste, Emmanuel Macron apparaît lumineux , intelligent, posé, pédagogique, face à l’obscurantisme têtu et borné de Marine Le Pen.
Emmanuel Macron est bien soutenu par tous ses mandants mais donne aussi de sa personne. Il lui faut redonner du lustre à la fonction présidentielle. Le soir de l’élection, il s’expose en majesté, il se met en scène dans les plus beaux atours, dans les décors les plus somptueux que lui offre l’histoire de France : c’est l’avancée solennelle, seul, entre les colonnes du Louvre, la montée sur l’estrade dans l’axe de la pyramide, porté par « l’hymne à la joie » de Beethoven. Parce que « la politique c’est mystique », Emmanuel Macron veut émouvoir ; il veut mettre en mouvement.
Et, dans la cour du Louvre, parmi ses partisans, les cœurs sont en mouvement ; Emmanuel Macron a porté la main sur le sien en écoutant la Marseillaise. Il pense aux instruments qui lui manquent encore, il lui faut maintenant disposer d’une solide assise parlementaire ; les législatives qui viennent doivent lui permettre de s’accaparer tous les outils du pouvoir. Alors, et alors là seulement, il pourra déployer véritablement sa puissance, passer à « une présidence jupitérienne ».
Et il lui faudra dompter la rue qui, émue par tant de morgue annoncée, commence déjà, aussi, à se mettre en mouvement.