Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

Abonné·e de Mediapart

635 Billets

3 Éditions

Billet de blog 12 novembre 2024

Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

Abonné·e de Mediapart

Dans la tête de Mike,  électeur trumpiste de l’Oregon

Dernières pensées d'un propriétaire de ranch dans un Etat des USA fracturé entre l'est et l'ouest, entre républicains et démocrates.

Jean-Luc GASNIER (avatar)

Jean-Luc GASNIER

Inactif en activité, membre d'ATTAC33, de nationalité française mais terrien avant tout

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mike venait de garer son pick-up chevrolet V8 Silverado High country dans la cour de son ranch, il n’avait pas encore coupé le contact, il aimait bien le ronronnement sourd du ralenti, tout plein de  puissance contenue. Il était très fier de son nouveau 4X4, il ne manquait pas de le laisser bien en vue et d’en astiquer les chromes avant toute nouvelle arrivée de touristes ou de stagiaires au Wild Ox ranch. Pour lui qui avait été élevé à North Highlands, le quartier le plus pourri de Sacramento, c’était un indicateur supplémentaire de  réussite. Il s’en servait surtout pour aller faire ses courses et faire un peu de “show off” comme disait sa femme Lucy qui aimait bien le chambrer. Pour les virées en montagne, il prenait son vieux Dodge Ram Dakota qui ne craignait plus rien. Il pensa alors à la partie de chasse prévue dimanche avec les copains du club de tir et se rendit compte qu’il avait oublié d’acheter les boîtes de cartouche pour son nouveau fusil mitrailleur. En fait, il avait passé son temps au Sunridge à fêter la victoire de Donald Trump et la bière ayant coulé à profusion, il avait fini par oublier le motif de sa descente en ville. Il regarda sa montre, le magasin fermait dans une demi-heure, en lâchant un peu les chevaux il pouvait y être avant la fermeture. Il serait en retard pour le dîner, Lucy allait encore lui crier dessus mais après tout il en avait l’habitude et il voulait à tout prix essayer son nouveau fusil dimanche, il avait  besoin d’une bonne séance de défoulement avant d'accueillir pour un stage d’immersion dans la nature des jeunes de la région de Portland.

Ce serait sûrement une semaine un peu pénible, les jeunes étudiants de Portland étaient contaminés par le wokisme, la plupart pouvaient être considérés comme des communistes, totalement ignorants des vraies valeurs de la société américaine. il sourit malgré tout : ces petites mauviettes devaient être terriblement déçues par l’élection de Trump, elles devaient encore être en train de pleurer, il avait vu ça à la télé, il est vrai que leur candidate s’était pris une bonne raclée. Bon, il faudrait quand même qu’il essaye de ne pas trop aborder le sujet,  business oblige. Mike travaillait majoritairement avec une clientèle de Portland, une ville  remplie d’écologistes  et de démocrates, ses stages d’immersion dans la nature sauvage de l’est de l’Oregon plaisaient beaucoup aux jeunes citadins qui ne connaissaient rien à la nature, ils avaient besoin d’être tenus par la main pour aller observer la faune sauvage avec leurs jumelles quand les gamins du coin, dès leur plus jeune âge  arpentaient les sentiers forestiers munis de leurs carabines. Mike se demandait comment ces jeunes pacifistes pouvaient encore voter démocrate - même si certains avaient sûrement voté pour la candidate verte Jill Stein - avec des va-t-en-guerre comme Joe Biden et Kamala Harris qui attisaient et alimentaient les conflits  partout sur la planète. Trump au contraire voulait la paix et pouvait l’imposer en Ukraine comme au Proche-Orient. Ces démocrates n’étaient pas prêts de revenir au pouvoir. . .   

Il pensa à sa voisine Suzie et à sa sœur Martha. Celle-ci avait été licenciée par la firme Boeing en septembre  2021 juste au moment où l’administration Biden avait  décidé de supprimer les derniers dispositifs d’aides aux chômeurs. Privée de 300 dollars par semaine, Martha avait dû quitter son appartement de Seattle pour vivre dans sa voiture. Au bout de quelques mois, Suzie qui était veuve depuis quelques années lui avait proposé de venir la rejoindre, elle avait alors débarqué pour retrouver un toit et un peu de chaleur humaine. Martha avait pourtant voté Biden en 2020, elle avait cru à ses promesses, le SMIC à 15 Dollars, le “Fight for 15” qu’il entonnait à chaque discours de campagne, l’élargissement et l’augmentation des aides sociales, etc. Une fois élu Joe Biden était devenu un “fier capitaliste”  et tout cela s’était évaporé avec l'espoir d’un monde meilleur pour les travailleurs pauvres. Martha avait viré de bord, elle était maintenant une Trumpiste fervente et elle avait pris une part active à la campagne de son nouvel idôle dans les comtés ruraux de l’est de l’Oregon. Finalement, ce vieux gauchiste de Bernie Sanders avait bien résumé la situation : “ cela ne devrait surprendre personne qu'un parti qui a abandonné la classe ouvrière soit lui-même abandonné par la classe ouvrière”.

Mike était reparti en trombe vers Baker city, il mit la radio, c’était l’heure du bulletin d’informations. Evidemment ils parlaient encore de l’élection mais aussi des incendies géants de Californie qui continuaient de s’étendre et touchaient maintenant la banlieue de Los Angeles  Le journaliste faisait le lien avec la COP 29 qui s’ouvrait à Bakou et qui serait boudée par Joe Biden ainsi que par beaucoup d’autres dirigeants occidentaux.Cette conférence était vraiment très mal engagée  malgré l’urgence de parvenir à des accords ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et la lutte contre le réchauffement climatique risquait de pâtir de l’élection de Trump.  Mike éteignit la radio, il en avait assez entendu, le gauchiste à l’antenne relayait les fake news des écolos, cette histoire de réchauffement climatique, il n’y avait jamais cru, il existe des cycles naturels qui entraînent des variations climatiques et puis, de toutes façons, le temps ça change tout le temps, on n’allait  tout de même pas brider le secteur pétrolier et gazier qui représente des millions d’emplois à cause de ragots colportés par des bons à rien qui n’aiment ni l’industrie ni la réussite. Il fallait évidemment continuer à forer. Mike commença à entonner le slogan de campagne “ Drill, baby drill” en tapotant sur son volant. 

Tout à son  excitation, distrait par ses pensées, il ne vit pas le Pin d’Oregon arriver vers lui à grande vitesse. . .

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.