Mardi, il a débuté son discours comme un rappeur de banlieue, un rappeur d’Evry : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France. . . ». Il aurait pu continuer : il y a en France trop de libéralisme, pas assez de socialisme. . . Il n’a pas osé porter aussi loin le cynisme et la provocation, il n’aurait pas été cru, il aurait peut-être fait rire ce qui n’est pas concevable dans le cadre d’un discours de politique générale, d’un discours d’investiture où les codes en vigueur réclament de l’autorité, de l’allant, de la crédibilité. Pour Manuel Valls, le socialisme ne peut incarner l’espoir car il appartient au passé, à un passé révolu : Manuel Valls est le dirigeant du PS qui voulait changer le sigle de son parti en supprimant la référence au socialisme. Pourquoi persister dans une communication surannée ? Effectivement, pourquoi se réclamer d’un idéal, pourquoi afficher un objectif quand on prend la direction opposée ? Le nouveau chef de la majorité a raison : il faut savoir tourner la page, assumer sa politique ; il vaut mieux rompre avec l’hypocrisie détestable - et désormais détestée - qui accompagne le PS depuis la fin des années Mitterrand. Après les années Jospin et leur long cortège de privatisations et de libéralisation, après les deux premières années du quinquennat de François Hollande, après le pacte de compétitivité, après le pacte de responsabilité, il est plus que temps pour le PS de faire son « coming out », d’en finir avec le refoulement, et de s’engager , sans fausse honte, dans la voie du progrès symbolisé par le patronat, de « renouer un véritable pacte avec le monde économique, avec le monde de l'entreprise, et notamment avec des petites entreprises qui créent la richesse d'entreprise ». L’arrivée de Manuel Valls à Matignon était inévitable, programmée, ce n’est que l’aboutissement logique de la mutation du PS : sa glissade prolongée dans les eaux froides du libéralisme l’a profondément transformé et a anesthésié l’ensemble des militants. Ce mouvement politique va pouvoir désormais, avec Manuel Valls, assumer et revendiquer fièrement son statut de parti libéral, tout en continuant évidemment à défendre les intérêts des classes populaires.
Car le nouveau Premier ministre est paraît-il un grand communicant. Le verbe est haut, la tonalité volontaire, la présence forte ; les médias saluent l’artiste ! Il paraît même qu’en matière de communication le risque que court M Valls serait la « surcompétence », une « surcompétence » atteinte très rapidement face à des journalistes, à des médias, qui se contentent de l’apparence et prennent tous les sophismes pour des vérités, toutes les déclarations péremptoires et paradoxales pour du volontarisme politique.
« Trop de souffrance, pas assez d’espérance . . .» et l’expert communicant annonce une baisse des charges sociales pour les bas salaires, une hausse du pouvoir d’achat annuel d’environ 500 € pour un Smicard . . . Aussitôt, tout ce petit monde applaudit en chœur et part en campagne, les micros se tendent en direction des classes laborieuses pour recueillir les réactions forcément enthousiastes à l’annonce de cette formidable nouvelle, si généreuse. Pour la contrepartie, la nécessaire diminution des aides sociales, on verra plus tard ! Contentons-nous d’annoncer les bonnes nouvelles et de nourrir ainsi la stratégie de communication du Premier Ministre. Il y a bien longtemps que les valets ne reçoivent plus d’ordres ; ils anticipent avec brio et zèle les desiderata de leurs maîtres.
En louant les qualités de communicant de M Valls, les médias dominants nous renvoient l’image fortement dégradée d’un métier, d’une engeance, qui n’analyse plus, qui ne réfléchit plus, qui n’informe plus, mais qui se contente de montrer un spectacle qui n’est, comme l’écrivait Guy Debord, que « le mauvais rêve de la société moderne enchaînée ».