Ce n’est probablement pas la popularité de notre Président qui a incité le nouveau pape à choisir pour nom François. Notre « François » n’est pas précisément en odeur de sainteté auprès de ses sujets. Même s’il convient de remarquer que la cote de popularité ne constitue pas un indice fiable de bonne gouvernance, la politique de François Hollande est, d’après les derniers sondages, désormais rejetée par les deux tiers des français qui doivent sans doute considérer qu’ils ont été une nouvelle fois floués lors des élections présidentielles. On ne s’habitue pas aisément à la frustration et à la trahison. Le référendum bafoué de 2005 sur la Constitution européenne est le coup de force qui a ouvert en Europe l’ère du renoncement démocratique permanent et de la mise sous tutelle des gouvernements et des peuples. Nos institutions organisent désormais tous les cinq ans un carnaval démocratique, défouloir momentané qui ne peut déboucher sur aucun changement véritable. Nous n’avons plus d’autre perspective politique que de respecter des ratios d’endettement et des échéances de remboursement. François Hollande agit en fondé de pouvoir zélé des banquiers européens. Il dénonce « l’austérité sans fin » mais veut continuer à charger la mule pour respecter l’engagement d’un déficit public réduit à zéro en 2017. Son empressement à nous sortir de la crise avec des méthodes qui démontrent chaque jour un peu plus leur nocivité témoigne d’un conditionnement intellectuel sidérant. Et son nouveau format de déplacement en province, sensé permettre une communication de proximité, donne lieu à un discours qui tient plus de l’obstination et de la rigueur militaire que de l’explication « pédagogique »: "Après Dijon, il nous faudra forcer l'allure pour atteindre la bonne direction".
Pour cela, il faudra paraît-il lever « les blocages » et « les lourdeurs administratives ». Mais comment « alléger les normes et raccourcir les délais » dans une administration parasitée par des procédures comptables destinées à la soumettre à l’impératif catégorique de rentabilité ? Comment faire preuve de souplesse quand le système se rigidifie pour servir des objectifs chiffrés et quand l’humain n’est plus qu’un coût qu’il est nécessaire de maîtriser ? Comment « marquer un coup d’arrêt à cette inflation administrative » dans une société de plus en plus surveillée et encadrée ? L’ensemble de nos services publics sont maintenant viciés, contrariés, entravés par des contraintes nées de l’obsession de la performance économique et financière. L’hôpital, l’université, la recherche, qui, par nature, devraient échapper à ces sujétions accablantes, sont avant tout des centres de profit, gérés par des contrôleurs de gestion dont la première mission est de renseigner des tableaux informatiques. Certains organismes publics ont été si déstabilisés par la RGPP ( Réforme Générale des Politiques Publiques remplacée désormais par la MAP, « nouvelle politique de modernisation de l’action Publique ») qu’ils sont devenus inaptes à remplir leur mission ; leur univers est « kafkaïen », Pôle emploi en est un triste exemple.
L’objectif affiché par François Hollande est donc parfaitement contradictoire avec un système de pensée et de prises de décision qui génère dans tous les domaines une multitude de documents, de procédures et de contrôles administratifs destinés à vérifier que la moindre dépense est justifiée. L’intelligence et le simple bon sens seront bientôt considérés comme des qualités subversives. Comment améliorer la productivité de l’Etat quand une administration schizophrène suscite dysfonctionnements, découragement et démotivation ? Partout, des responsables de service protestent contre les restrictions budgétaires, le manque de moyens, mais aussi contre une paperasserie imbécile : la gestion de la pénurie est de plus en plus tatillonne. Les hommes finissent parfois par s’effacer, par lâcher prise : Ainsi, dans le secteur de la santé, de nombreuses démissions de médecins, provoquées par l’impossibilité de travailler dans des conditions acceptables, ont affecté les Hôpitaux de Paris ces derniers mois.
Nos services publics s’épuisent, ils ne sont ni efficaces, ni humains. Pour paraphraser une formule célèbre, « trop de productivité tue la productivité ». Et c’est dans cette contre-productivité organisée par nos gouvernants que réside le vrai gaspillage des deniers publics.