Les pauvres sont souvent sans travail. Alors, pour lutter contre la pauvreté, Emmanuel Macron veut, avec le « revenu universel d’activité » qui sera accordé « sous conditions », remettre la France des assistés au travail. Le projet du gouvernement entend conditionner le versement des aides sociales à l’exercice d’une activité, une activité salariée bien sûr.
Bientôt, il ne sera plus possible de survivre sans travailler, il faudra toujours être en activité ou en quête d’activité marchande. Une laisse rigide et implacable sera passée au cou de tous les travailleurs, notamment des travailleurs pauvres : un emploi, un salaire de misère ou bien la rue, la déchéance sans assistance. Plus question de tergiverser, plus question d’être à la recherche d’un travail satisfaisant, d’un travail valorisant, il faudra prendre le pain sans tarder, la brioche sera hors de portée ! Un vieux fantasme du patronat sera réalisé : pouvoir compter sur une main d’œuvre disponible, corvéable à merci, puisqu’il n’y aura point de salut en dehors de l’emploi salarié. Et cette aliénation définitive est présentée comme une mesure sociale !
Tous les travaux proposés par les entreprises ou les administrations sont-ils si utiles pour la collectivité qu’il ne soit désormais plus possible de les refuser, de prendre le temps d’en chercher d’autres plus en adéquation avec sa personnalité, ses compétences, on n’ose dire ses exigences ? On peut pourtant admettre que n’importe quel travail n'est pas systématiquement bon à prendre pour un individu doté d'une sensibilité, d'une réflexion, d'une histoire.
Les employés d’ARCOS ( le maître d’ouvrage, filiale du groupe VINCI ) qui ont commencé à arracher, déchiqueter, tronçonner les arbres de la forêt du Grittwald près de Vendenheim afin de réaliser le Grand contournement de Strasbourg travaillent, ils s’apprêtent à détruire des centaines d’hectares de zones humides, de terres agricoles, de parcelles forestières mais ils travaillent et peut-être auront-ils des primes à la fin du mois pour avoir détruit plus vite, pour avoir accompli leur tâche de façon plus efficace et plus productive.
Les CRS qui ont gazé les manifestants qui tentaient de s’opposer au démarrage des travaux et de faire valoir auprès des autorités que tous les recours n’ont pas encore été examinés par la justice ( lire ici) - parmi ceux-ci, la députée européenne Karima Delli a dû être hospitalisée après avoir été aspergée à bout portant de gaz lacrymogène - travaillent aussi. Pour le préfet du Haut Rhin, ils font même surement du bon boulot.
Les zadistes de Kolbsheim, commune très impactée par le GCO, eux, ne travaillent pas, ils ne calculent pas, ils sont insensibles à la comptabilité macabre du gouvernement : ils refusent qu’un tronçon d’autoroute soit encore considéré comme un plus sous prétexte qu’il apporte plus de travail et qu’il représente plus de profit pour Vinci. Ils tentent juste de faire reconnaître leurs droits de citoyens et de défendre des valeurs inconnues des multinationales. Mais comment faire reconnaître dans le projet de société de Macron d’autres valeurs que l’argent ?
A une époque où les « bullshit jobs » selon l’expression de l’économiste et anthropologue anglais David Graeber prolifèrent, les gouvernants ne supportent pas que des chômeurs puissent refuser des « emplois à la con », des emplois au rabais, mal payés et sans intérêt. Pour les libéraux, il faut réhabiliter le travail car, comme l’écrivait André Gorz dans son ouvrage « Métamorphoses du travail. Quête du sens », « plus le travail est contraignant par son intensité et sa durée, moins le travailleur est capable de concevoir sa vie comme une fin en elle-même, source de toutes valeurs ; et plus par conséquent il est porté à la monnayer, c’est-à-dire à la concevoir comme le moyen de quelque chose d’autre qui vaudrait en lui-même objectivement : l’argent ».
Le projet de « revenu universel d’activité » du gouvernement s’inscrit dans cette logique. L’insertion dans la société ne doit pas pouvoir se réaliser autrement que par le travail marchand, seul susceptible d’alimenter le système capitaliste. La crise sociale et écologique ne peut dès lors que s’amplifier et la nature se désagréger, se dissoudre dans l'immense vortex d'une société de consommation qui aspire tout le vivant.