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Billet de blog 16 décembre 2025

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Agriculture et abattages intensifs

Les tracteurs agricoles envahissent à nouveau les axes routiers. L’histoire se répète. C’est en fait toujours la même histoire, la même colère qui n’en finit pas de monter car ceux qui tiennent les barrages sont toujours en butte au même système.

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Les tracteurs agricoles envahissent à nouveau les axes routiers. L’histoire se répète. C’est en fait toujours la même histoire, la même colère qui n’en finit pas de monter car ceux qui tiennent les barrages sont toujours en butte au même système, un système qui favorise les grosses exploitations et l’agro-industrie au détriment des autres, de tous ceux qui ne sont rien ou pas grand-chose et qui, pour les puissants, appartiennent déjà au passé parce qu’ils sont voués à disparaître.

C’est un épisode de plus dans la lutte contre un système technocratique enfermé dans ses certitudes, engagé dans une course effrénée à la compétitivité, et terriblement maltraitant pour les hommes et les animaux.

Cette fois, c’est la DNC, la dermatose nodulaire contagieuse, une maladie infectieuse qui touche les bovins qui a mis le feu dans les campagnes et déclenché une nouvelle crise majeure.

Le gouvernement et la FNSEA, les deux pilotes de la politique agricole française, ont en effet fait le choix, afin de protéger les filières exportatrices de lait et de viande (c’est-à-dire avant tout quelques industriels et agri-managers du secteur), d’appliquer pour combattre la maladie la stratégie du dépeuplement qui consiste à abattre le troupeau entier pour une seule bête malade, accompagnée de l’arrêt des mouvements et de la vaccination des troupeaux dans un périmètre de 50kms autour du foyer de contamination.

Le ministère de l’Agriculture s’est toujours refusé à engager une campagne de vaccination nationale contre la maladie car lorsqu’une campagne vaccinale est lancée dans une zone, la réglementation européenne interdit les mouvements d’animaux et restreint les ventes de bétail jusqu’à quatorze mois. La Confédération paysanne, syndicat qui milite pour un abattage partiel et ciblé fustige des « décisions qui obéissent à des critères strictement économiques. C’est une gestion dictée par les accords commerciaux : les paysan·nes ne sont pas des variables d’ajustement au service des échanges internationaux »

La flambée de colère provoquée par la gestion de la DNC n’est qu’un motif supplémentaire de mécontentement. La crise agricole est désormais structurelle et nous sommes tous confrontés, citoyens, consommateurs et paysans, à la corruption systémique d’une agriculture qui sacrifie l’environnement et la santé des consommateurs sur l’autel de la compétitivité.

L’intensification et le productivisme, les deux agents pathogènes les plus résistants de la politique agricole contaminent toujours les cerveaux des responsables du ministère de l’agriculture et entraînent aujourd’hui un abattage intensif.

Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture, semble avoir développé un phénomène de dépendance qui lui fait perdre toutes ses facultés de raisonnement et de discernement.

En donnant le coup d’envoi des « conférences de la souveraineté alimentaire » le lundi 8 décembre au marché de Rungis, la ministre a exhorté les agriculteurs à relever le défi de « la guerre agricole » qui « menace chaque jour un peu plus », il faut donc produire plus pour exporter davantage mais aussi mieux satisfaire la demande intérieure.

Dans son monde virtuel peuplé de tableaux excel, Annie Genevard peut sans doute positiver et miser sur des projections favorables des statistiques agricoles mais dans le monde réel, le dérèglement et le réchauffement climatique, l’alternance de périodes de sécheresse et de fortes précipitations, l’effondrement de la biodiversité, la baisse de fertilité et l’érosion des sols, la pollution généralisée des milieux naturels, etc, ne peuvent entraîner qu’une baisse des rendements agricoles. La ministre est atteinte d’une sorte de nationalisme agricole morbide : « Chaque fois que je dis ces deux mots, “produire plus” il y a toujours quelqu’un pour me dire “ah le productivisme, ah la malbouffe”. C’est une trahison de la nation que cette malhonnêteté intellectuelle là. »

Il faut se rendre à l’évidence : nous sommes gouvernés par des fous. Il faut évidemment être fou pour penser que la dégradation des conditions de vie du vivant permet d’espérer produire davantage en quantité et en qualité. C’est bien l’inverse qui se met déjà en place.

Et il faut être fou furieux pour attribuer tous les maux de l’agriculture aux écologistes et s’enfermer dans la voie d’un productivisme guerrier qui entend « lutter contre les tentations de la décroissance portées par quelques thuriféraires du décadentisme ».

Désigner comme boucs- émissaires, et ainsi à la vindicte paysanne, toutes celles et ceux qui se rendent soi-disant coupables d’agri-bashing, un concept lancé par la FNSEA, revient à introduire des ferments de guerre civile dans une société déjà très fracturée. « La guerre agricole » dont parle Annie Genevard pourrait bien ne plus être seulement une expression métaphorique pour désigner la compétition mondiale entre agricultures, le nouveau président de la Coordination rurale, Bertrand Venteau, n’a pas hésité à déclarer lors du dernier congrès de son mouvement : «  Les écolos, la décroissance veulent nous crever, nous devons leur faire la peau  ».

Face à un adversaire commun et des difficultés grandissantes, les agriculteurs de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale se retrouvent en cette fin d’année côte à côte sur des barrages routiers.

C’est une alliance de circonstance, il n’y a aucune possibilité de rapprochement entre ces deux syndicats qui défendent des visions antagonistes de l’agriculture et plus largement de la société, mais elle illustre le désarroi actuel d’un monde qui est en train de sombrer, victime des coups de boutoir du capitalisme mondialisé qui exige toujours plus d’investissement et d’intensification.

Quant à la FNSEA, elle est confrontée à ses propres contradictions : sa vision d’une agriculture française nécessairement compétitive et exportatrice atteint ses limites . On ne peut espérer tirer toujours parti de la mondialisation et des ALE (accords de libre-échange). L’accord du Mercosur en est l’illustration : face aux exportations de matériel de défense, d’avions, de voitures, les agriculteurs français sont sacrifiés. A exportateur, exportateur et demi !

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