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Billet de blog 17 mai 2014

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Il y a quelque chose de pourri au royaume du capitalisme français

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Depuis quelque temps, les dossiers épineux s’accumulent sur le bureau d’Arnaud Montebourg. La fébrilité qui semble désormais, bien plus que la marinière Armor Lux, être la marque de fabrique de notre ministre de l’Economie et du redressement productif, peut-elle gagner encore en intensité et contaminer d’autres ministres ? La cohésion de la petite équipe gouvernementale conquérante et resserrée autour de M Valls est-elle menacée ?

Alors que l’affaire Alstom fait toujours la une de tous les médias, le dossier AREVA s’invite aussi dans l’actualité. La publication du pré-rapport de la Cour des comptes sur la gestion de cette société pendant les années « Lauvergeon », de 2006 à 2012, démontre à quel point nos fleurons industriels peuvent pâtir d’un management à  la française, c'est-à-dire autocratique et sans contrôle. Car dans les deux cas, la fragilité financière des deux groupes est le résultat de stratégies de développement hasardeuses marquées par des acquisitions particulièrement coûteuses dont les seuls responsables sont bien les dirigeants de ces multinationales. Quoi que le MEDEF puisse en dire, le manque de compétitivité de nos entreprises ne  provient pas seulement du niveau insupportable des charges salariales. Et dans l’industrie, contrairement à ce qui se passe au niveau d’un Etat, un endettement excessif peut aboutir à la faillite et au démantèlement. Les chiffres sont éloquents :

-          3, 3 milliards d’endettement pour Alstom,  mais aussi 1,3 milliards d’euros de dividendes distribués aux actionnaires durant ces cinq dernières années

-          Près de 4,5 milliards d’endettement pour AREVA, notre « leader mondial de l’énergie nucléaire »  avec un résultat négatif (pour la troisième année consécutive) de 494 millions d’euros.

Dans le cas d’AREVA, la Cour des comptes est particulièrement sévère pour « Atomic Anne »  mais également, en filigrane, pour l’Etat qui, avec plus de 85 % du capital, a théoriquement tout  pouvoir pour exiger une gestion rigoureuse et conforme à l’intérêt public. Or l’Etat s’est montré défaillant et laxiste puisque Anne Lauvergeon a  pu pratiquer, sans opposition réelle, une politique de fuite en avant et de croissance externe caractérisée par l’acquisition de mines d’uranium - par le biais de l’achat de la société canadienne UraMin - qui se sont révélées inexploitables et par la signature du contrat catastrophique de construction de l’EPR finlandais d’Olkilluoto qui représente d’ores et déjà une perte potentielle pour l’entreprise de 3,5 milliards d’euros ! De telles prouesses méritaient assurément une juste récompense : la Cour des comptes remarque que « La rémunération de l’ancienne présidente du directoire a connu une progression très rapide au cours de son second mandat. Une telle évolution se fondait sur une revendication affirmée de rattrapage par comparaison avec les chefs d’entreprise du CAC 40. La découverte tardive de dossiers dont la mauvaise gestion coûte aujourd’hui très cher au groupe amène à critiquer une telle progression. . . » (Lire ici les principaux extraits du prérapport de la Cour des comptes)

Décidément, il y a quelque chose de pourri au royaume du capitalisme français et, selon le proverbe bien connu : «  le poisson pourrit par la tête ». Il existe en France une noblesse d’Etat qui dirige le pays et qui s’arroge l’essentiel du pouvoir économique et financier : les membres des grands corps     ( Anne Lauvergeon est ingénieur du corps des Mines). Cette petite élite rassemble le distillat remarquable de notre système d’enseignement, des surdiplômés qui ont fréquenté les mêmes grandes écoles, qui  sont le plus souvent issus des mêmes milieux, qui fréquentent les mêmes cercles et ont naturellement des intérêts communs dont le premier est incontestablement de veiller scrupuleusement à la notoriété et à la puissance de leur statut, à la réputation de la grande école dont ils sont issus afin de perpétuer une tradition bien française : c’est le diplôme et le rang de sortie qui font la valeur de l’individu et qui permettent d’embrasser une carrière plus ou moins prestigieuse. L’aptitude aux calculs mathématiques reste le moyen le plus sûr d’être reconnu et valorisé par notre méritocratie républicaine. Pour les plus doués, à vingt-cinq ans, l’essentiel est acquis ; comme le sprinter de 100m, il suffit ensuite de « dérouler », de ne pas faire de fautes.  Et les réseaux fonctionnent, ils se cooptent, s’entraident, passent du public au privé, du privé au public, se partagent les sièges dans les conseils d’administration,  pratiquent avec application une forme de solidarité de classe. Ayant atteint « le Graal »,  à la tête d’une grande institution, d’une grande direction de l’administration ou d’une grande multinationale, ils deviennent intouchables, quasiment irresponsables. Leurs fautes ne sont jamais sanctionnées - du reste ce ne sont jamais les leurs -  et leurs erreurs qui peuvent entraîner des pertes colossales, des licenciements de milliers de personnes, provoquent au mieux leur départ avec de substantielles indemnités. Dans quelques cas, les fautes sont si lourdes qu’il n’est pas possible de fermer les yeux  mais, lorsque le scandale éclate, bien souvent des années après,  le mal est fait ; entre temps, les salariés et les citoyens ont payé la note.  Nous avons développé en France, avec la complicité de l’Etat et des responsables politiques qui sont souvent issus du même sérail, une forme originale de capitalisme : exigeant et prédateur pour les salariés, permissif et généreux pour les patrons.

Notre patriotisme économique est handicapé avant toute autre chose par ce système. Et Arnaud Montebourg peut bien continuer à s’agiter, il ne dispose pas des clés pour résoudre le problème.

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