Comme chaque matin, Roland écoute France Inter en prenant son petit-déjeuner, une vieille habitude dont il ne parvient pas à se défaire malgré des interviews et commentaires qui lui donnent des aigreurs d'estomac. La ligne éditoriale de cette radio encore publique s’est progressivement infléchie et droitisée et les chroniques libérales de Dominique Seux, qui serinent quotidiennement aux travailleurs qu’il n’y a pas d’alternative à leur exploitation effrénée par le capital, reflètent le mal insidieux et profond qui corrompt l’antenne depuis de nombreuses années. Le licenciement récent de Guillaume Meurice ne l’a pas surpris, il se doutait bien qu’après la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture, le curseur du libéralisme autoritaire serait poussé un peu plus loin et que la normalisation des programmes interviendrait tôt ou tard, l’humour potache contre les riches n’est désormais plus toléré pour consoler les pauvres. Roland a le sentiment que la grande majorité des journalistes et commentateurs ne sont que des porte-paroles de la politique du gouvernement et des pourfendeurs d’une gauche présentée comme extrémiste. Mais, sur les autres radios, c’est pire, alors il reste en compagnie des macronistes et de leurs invités de la matinale.
Ce matin, l’invité est Gabriel Attal. Dépourvu de majorité, désavoué dans les urnes, il fanfaronne encore et annonce que la réforme de l’assurance chômage sera bien mise en œuvre malgré tout, un décret sera signé le 1er juillet.
Roland n’en revient pas, il ne comprend pas cette obstination ! Il pensait qu’après la déroute électorale de Renaissance et la dissolution de l’Assemblée nationale par Macron, ce gouvernement ultra-minoritaire dans l’opinion n’oserait tout de même pas poursuivre sa politique de casse sociale. Mais peut-être préfère-t-il couler avec le sentiment du devoir accompli après avoir joué jusqu’au bout sa belle partition pour le patronat ?!
Heureusement, la gauche s’est entendue pour faire barrage au RN et construire un vrai programme de rupture. Le Front populaire lui redonne de l’espoir. Si demain ce Front populaire est majoritaire, il sait que cette réforme sera abrogée et qu’il pourra peut-être s’en sortir.
Il repense à tous ces derniers mois
Il repense à ce jour où ses ennuis ont commencé, au courrier de son concessionnaire Citroën l’informant que sa C3 achetée d’occasion avait un problème d’airbags défectueux. Il avait tout de suite appelé Mr Aimable qui lui avait vendu la voiture. Celui-ci avait essayé de le rassurer : sa voiture serait rappelée et les frais de réparation intégralement pris en charge par le constructeur Stellantis mais il fallait faire preuve d’un peu de patience car des centaines de milliers de véhicules étaient concernés. En attendant, Mr Aimable lui avait conseillé de ne pas utiliser la voiture. Il avait alors demandé s’il était possible de disposer d’un véhicule de prêt et Mr Aimable, visiblement gêné, lui avait alors suggéré de se rapprocher de sa compagnie d’assurance, son contrat prévoyait peut-être ce dispositif.
Mais non, son contrat ne prévoyait rien pour ce genre de litige et le conseiller de la compagnie lui avait même indiqué qu’en cas d’accident, il risquait de ne pas être indemnisé notamment en cas de dommages corporels. Il fallait vraiment qu’il évite de rouler avec la C3 et attendre la réparation.
La C3 était donc restée au garage et Roland avait dû se résoudre à prendre le train malgré des horaires qui lui imposaient de partir plus tôt et de rentrer plus tard.
Mais la ligne qui dessert la commune de Roland est une ligne secondaire. Le matériel n’est pas toujours bien entretenu, les trains sont souvent en retard voire annulés. Il faut alors attendre le train suivant ou prendre un car de substitution on arrive alors bien en retard au travail.
Cela avait tenu quelques mois mais Roland avait fini par être convoqué puis licencié, son poste ne pouvait souffrir des absences aussi répétées.
Depuis, Roland est au chômage et sa voiture est toujours au garage, il attend.
Il attend aussi souvent dans les locaux de France travail; Son conseiller s’impatiente. Roland a déjà dû refuser plusieurs offres d’emploi qui nécessitaient un véhicule. Il ne trouve rien à proximité immédiate de son domicile, dans une bourgade de la France profonde comme l’on dit.
Dans quelques mois, avec la réforme annoncée par Gabriel Attal, si le Front populaire ne passe pas, ses allocations chômage seront supprimées et il ne pourra peut-être plus payer son loyer. Il se dit alors qu'heureusement il a sa C3, elle pourra toujours lui servir de logement !