En visite dans les zones récemment incendiées du département de l’Aude , la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, s’est vu offrir par un viticulteur deux grappes de raisin : l’une avait fière allure avec des grains bien joufflus, prêts à libérer généreusement leurs jus ; l'autre au contraire faisait vraiment triste mine, tous ses grains étaient flétris et desséchés, visiblement immangeables. Le vigneron voulait sans doute par ce geste à vocation pédagogique délivrer à la ministre un message visuel destiné à appuyer les revendications de la profession concernant la consommation d'eau à usage agricole.
Le monde végétal ne s'exprime pas mais il n'est pas interdit de laisser aller son imagination . . .
Si la première grappe avait été dotée de la parole, elle aurait certainement tenu à la ministre le discours suivant :
« Regarde Annie comme je suis jolie et appétissante, je suis le noble produit de l’agriculture moderne et productive que tu apprécies et encourages ; en cette période de grande sécheresse j’ai pu bénéficier d’une irrigation constante, je suis issue de la vigne, le secteur agricole le plus choyé de ce département et qui est à l’origine de 90 % de la demande d’irrigation. De multiples installations de pompage permettent de puiser l’eau dans le fleuve Aude, dans ses affluents, et aussi à partir des retenues colinaires et de divers bassins de rétention. De nouveaux investissements dans ce domaine sont réclamés par la profession qui prend bien soin de nous et veut nous préserver des périodes de sécheresse liées au dérèglement climatique qui seront de plus en plus durables et redoutables à l’avenir. Je bénéficie aussi de nombreux traitements phytosanitaires et je voulais te remercier chère Annie pour ton attention et ton empressement à défendre note santé en permettant aux agriculteurs français d’utiliser toute une gamme de biocides particulièrement performants. Grâce à toi, ils peuvent le faire sans trop de restrictions et de précautions inutiles. Continue donc dans cette voie, Annie, tu es judicieusement conseillée par la FNSEA qui désire une agriculture compétitive, exportatrice et n’écoute pas tous ces écologistes passéistes qui refusent le progrès. »
Quant à la deuxième grappe, il n'est pas difficile d'imaginer ses propos :
« Regarde Annie je suis moi aussi le produit, le résultat de ta politique agricole, en fait des politiques agricoles menées depuis des décennies en collaboration avec le FNSEA et désormais sous la pression de la Coordination rurale. J’ai manqué cruellement d’eau car c’est toute la nature qui manque d’eau. Dans l'Aude, les cultures irriguées engendrent un déficit hydrique de plusieurs dizaines de millions de m3 pour le milieu naturel ainsi que pour les autres cultures et utilisateurs. Je suis desséchée car je suis la victime d’une agriculture intensive, consommatrice d’énormes quantités d'engrais, de pesticides et d'eau et qui est de plus très émettrice de gaz à effet de serre soit directement soit indirectement. L'agriculture que tu soutiens Annie est une agriculture dominatrice et violente qui lamine les paysans, méprise le vivant et encourage le gaspillage. Pour approvisionner à bas prix l'agro-industrie et toute la mal-bouffe, pour pouvoir exporter, pour engraisser les gros agri-managers, combien de cours d’eau asséchés, combien de nappes phréatiques fragilisées, combien de cultures sacrifiées, combien de végétaux et d’animaux en souffrance qui dépérissent et finissent par mourir ? Regarde dans quel état je suis Annie et prends garde car les humains sont aussi des êtres vivants qui dépendent de la nature tout comme moi. »
Annie Genevard, bien sûr, n'entendit rien de tout cela.
Elle écouta en revanche le porte-parole de la FDSEA :
« L’agriculture doit reprendre son sens. Pour les vignerons, il faut plus de soutien de l’État, notamment pour l’export : en France, on est mal organisés », soutint-il. « Il faut aussi développer la polyculture : le maraîchage ou l’élevage, continue-t-il. Mais pour cela, il faut de l’eau… et à chaque fois qu’on propose des projets de forages ou de bassin, on a des blocages, soit financiers, soit des écologistes. »
Et elle fit ensuite la déclaration suivante : "À l'occasion de ce désastre, il faut qu'on se pose de bonnes questions et qu'on apporte des réponses appropriées", en matière de "choix de cultures, en matière de production, en matière d'activité agricole, en matière d'adduction d'eau".
Emmanuel Macron venait de promulguer la loi Duplomb. Le désastre ne faisait que commencer.