Il a déposé une gerbe de fleurs, en bord de Seine, “à la mémoire des morts du 17 octobre 1961”.
Il est resté là, silencieux, quelques minutes, puis il est reparti. Didier Lallement, le préfet de police de Paris, a rendu hommage aux victimes d’un massacre perpétré par les forces de l’ordre placées sous l’autorité directe de son homologue de l’époque, Maurice Papon. En ce 17 octobre 1961, Maurice Papon était un préfet aux ordres, un préfet au service de l’Etat comme l’est aujourd’hui le préfet Didier Lallement, ce préfet républicain exemplaire, qui a su vaillamment protéger la république pendant le mouvement des gilets jaunes.
Les préfets, c’est bien connu, sont toujours aux service de la république, au service de l’Etat, ils accomplissent ainsi leur devoir sans état d’âme, droits dans leurs bottes. Ils n’agissent bien évidemment pas en leur nom et ils savent aussi que lorsqu’il s’agit de protéger le pouvoir en place, ils seront a priori couverts.
Ainsi, même si les archives sur ce fait historique restent encore fermées, soigneusement cadenassées, les témoignages ainsi que le travail des historiens qui se sont penchés sur cet épisode tragique de notre histoire sont sans équivoque : ce massacre était bien un crime d’Etat, organisé et avalisé par le pouvoir en place.
En France, les scandales d’Etat et à plus forte raison les crimes d’Etat ne sont la plupart du temps ni reconnus, ni châtiés. En France, l’Etat est représenté par le Président de la République, la clef de voûte des institutions. Vous faites tomber le chef et c’est tout l'édifice qui s’écroule.
Le 17 octobre 1961, le Président, le chef de l’Etat, le premier responsable est Charles de Gaulle. Parler d’un crime d’Etat pour ce 17 octobre, c’est automatiquement pointer du doigt la figure tutélaire du général, celui qui n’a pas capitulé face à l’envahisseur allemand, celui qui a sauvé la république, libéré le pays, celui qui représente encore la résistance, etc, bref une figure inattaquable, indéboulonnable, sacrée.
De Gaulle, c'est aussi celui qui nous a légué la Vème République et tout le fonctionnement pyramidal des institutions - accentué depuis la réforme de 2000 sur le quinquennat - défendu par tous les Présidents qui se sont succédé depuis son départ. Charles de Gaulle est le premier d’une lignée : tous ses successeurs ont mis leurs pas dans les siens, ils doivent tous leur puissance et leur invulnérabilité au général ; ils n'hésitent d’ailleurs pas à s’en réclamer à l’occasion, notamment quand la logique des institutions et les prérogatives exorbitantes du chef de l’Etat sont questionnées. De la présidence de Charles de Gaulle on ne veut plus voir et admettre qu’une seule face, celle qui exalte la grandeur de la France. Tout le reste, sa politique ambiguë voire indigne à l’égard de l’Afrique et notamment de l’Algérie, ses réseaux secrets, le SAC, les essais nucléaires à l’air libre (toujours en Algérie), etc, est passé sous silence. De Gaulle, on ne peut y toucher.
En 1961, Maurice Papon était un haut fonctionnaire zélé, un préfet comme Didier Lallement sous les ordres du ministre de l’Intérieur, lui-même sous l’autorité du chef du gouvernement et du chef de l’Etat. Depuis, cet homme a été condamné pour complicité de crimes contre l’humanité, c’est donc un coupable tout à fait acceptable.
Les principaux responsables ne peuvent toujours pas être désignés car il faudrait pour cela dévoiler la face sombre du gaullisme et de nos institutions.