Depuis le départ contraint et forcé de Michel Barnier, la stabilité gouvernementale est devenue une vertu cardinale, la nouvelle mode en politique. Mieux vaut une stabilité dans le malheur et dans le chaos institutionnel qu’une nouvelle censure. Mieux vaut encore deux ans et demi de macronisme que de nouvelles élections.
On peut donc faire un discours de politique générale, creux, insipide, tournant résolument le dos aux urgences majeures de l’époque, les urgences sociales et écologique, et réaffirmant clairement l’orientation néolibérale de la politique économique, un discours émaillé par ailleurs de quelques grossières provocations et clins d’oeil appuyés à l’extrême droite concernant notamment l’immigration à Mayotte ou les contrôles excessifs des agents de l’Office français de la biodiversité, avoir dans son gouvernement, en tant que ministres d'Etat, Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Manuel Valls, et échapper à la censure du groupe socialiste.
Les socialistes restent soi-disant dans l’opposition, ils n’ont pas voté la motion de censure signée par la France insoumise, les Ecologistes et les communistes sous le prétexte d’avoir arraché des concessions budgétaires sur des points jugés importants et d’avoir ainsi évité aux Français des « mesures qui ont un impact direct sur leur pouvoir d’achat ». Par la voix d’Olivier Faure, ils se vantent même d’avoir fait céder le gouvernement.
Mais en paraphrasant Camus, on pourrait dire que mal apprécier les choses, c’est rajouter au malheur d’une politique : le vote de cette motion de censure devait sanctionner la politique générale annoncée par le Premier ministre, ce n’était pas un vote sur le budget.
Une déclaration de politique générale indique une direction, fixe des objectifs mais ne détaille pas le parcours, ne précise pas les multiples chemins qui peuvent être empruntés pour atteindre au final les buts poursuivis. En politique, un parcours est souvent semé d’embûches, jamais entièrement ascendant et linéaire. Il faut parfois consentir des sacrifices, reculer pour mieux sauter, savoir opérer un détour pour atteindre finalement l’optimisation globale. Et l'optimisation globale pour un gouvernement sous la présidence d'Emmanuel Macron correspondra toujours à un minimum pour les droits sociaux et environnementaux.
Les priorités de François Bayrou restent bien évidemment les mêmes : il faut diminuer la dette publique et le déficit budgétaire en réduisant drastiquement les dépenses sans véritablement agir sur les recettes et soutenir la compétitivité des entreprises en continuant une politique de l’offre afin de soigner nos « poules aux œufs d’or ». L’objectif général conforme à l’idéologie néolibérale ne varie pas : assurer la prééminence du libre marché en réduisant progressivement toutes les entraves susceptibles de freiner les entrepreneurs privés qui sont les vrais créateurs de richesse.
François Bayrou peut donc par exemple consentir à rouvrir la négociation sur les retraites dans un périmètre financier extraordinairement contraint afin de mieux démontrer qu’un accord raisonnable entre partenaires sociaux n’est pas possible ou bien renoncer à l’instauration de 3 jours de carence dans la fonction publique en cas d’arrêt maladie tout en se gardant bien d’évoquer l’autre mesure envisagée : la baisse de la rémunération des fonctionnaires en cas d’arrêt de travail à 90 % de leur traitement normal contre 100 % actuellement (Cette dernière mesure représenterait environ 900 millions d’euros d’économie alors que l’augmentation de la durée de carence n’en représente a priori que 300!). Ces reculs tactiques ne sont-ils pas concédés aux socialistes avant de repartir de l’avant de plus belle afin de consolider et d’accentuer la mise en place d’une économie prédatrice au service des nantis au détriment d’une économie solidaire respectueuse de l’environnement et garante de nos biens communs ?
Les socialistes qui ont sans doute les yeux rivés sur leur prochain congrès semblent de nouveau avoir perdu de vue toute boussole et toute lucidité. Pourraient-ils retomber sous la coupe, le leadership de François Hollande qui estime dans une interview au journal « La Tribune dimanche » que les socialistes constituent désormais " le pôle central au sein de l'Assemblée nationale puisque rien ne peut se faire sans eux ni contre eux". Ce serait assurément dans leur cas non pas un détour afin de reconquérir à terme le vote populaire mais clairement l’engagement dans une impasse et une nouvelle rupture avec les aspirations du peuple de gauche. La politique est souvent affaire de symbole. Ce gouvernement devait à l’évidence au nom de la démocratie, des engagements pris, et de la plus élémentaire décence être censuré. En ne votant pas la motion de censure, pourtant déposée conjointement par toutes les autres formations du NFP, les socialistes malgré toutes les précautions oratoires prises par Olivier Faure, ont accepté d’être, pour reprendre une expression qu’il avait lui-même utilisée il y a quelque temps, « les supplétifs d’une macronie finissante ».