Ce sont comme deux coups de poing, deux uppercuts décochés à la face de la République. En pleine campagne électorale, les affaires Pénélope et Théo achèvent de saper les fondements d’un pacte républicain moribond et accentuent la crise démocratique et sociale ; elles fracturent encore davantage la société française et un gouffre béant sépare désormais deux mondes aux valeurs irréconciliables.
Ces deux affaires (deux de plus pour cette Vème république qui les accumulent), bien plus que les programmes des candidats, mobilisent les citoyens, enflamment les réseaux sociaux, et font la une des médias. Elles ne pourront être classées sans suite, elles vont imprégner et rythmer la campagne présidentielle jusqu’au scrutin du mois de mai, exaspérer les tensions, rendre les débats encore plus passionnels. Les miasmes d’une république corrompue et en décomposition flottent dans l’air. L’atmosphère devient irrespirable.
Deux affaires pour deux mondes qui ne se parlent plus et se font face.
D’un côté, il y a ce monde des banlieues, des sans-grades, des citoyens de seconde zone, des « riens du tout » comme le regrette la mère de Théo. Les « damnés de la terre » ont donné naissance à des générations qui portent encore le poids de notre passé colonial ; dans ce monde, le faciès vaut déjà présomption de culpabilité et les cognes peuvent faire irruption à tout moment pour vous rappeler votre couleur de peau. C’est un monde marqué par la désespérance ordinaire faite de chômage, de déclassement, de délaissement, de contrôles à répétition, d’humiliations, mais aussi par cette désespérance extraordinaire : être tabassé et violé par ceux-là même qui sont en charge de la sécurité et de l’ordre public. Dans ce monde, les mots des politiques, les mots des promesses, les mots des engagements ne peuvent plus avoir de sens. Dans ce monde, les grands mots de la république ont été déformés, trahis ; ils se sont rapetissés, désagrégés et ont fini par disparaître pour laisser place à la colère.
Et de l’autre côté, il y a un autre monde : un monde étranger, un monde où le pouvoir et l’argent peuvent satisfaire toutes les espérances ordinaires, un monde qui peut tout se permettre, un monde où, pris la main dans le sac, vous êtes présumé innocent et pouvez vous transformer en accusateur, un monde coupé du monde.
Et dans ce monde, certains tentent d’assouvir une espérance extraordinaire : porter à la présidence de la république François Fillon afin de mener à bien une vraie révolution libérale. Pour satisfaire sa guilde, François Fillon, après s’être goinfré en famille aux frais de la république, gueule plus fort que jamais son exigence de sévérité, d’austérité, de rigueur, de morale. Face aux médias, face aux citoyens complaisants, il est le candidat « anti-système » ! Il « ira jusqu’au bout » pour imposer sans faiblir des salaires revus à la baisse, un temps de travail revu à la hausse, la majorité pénale à 16 ans et la retraite à 67, etc.
Fillon veut remettre la France sur le droit chemin, redonner tout son lustre au triptyque « Travail, famille, patrie ».
Fillon a une extraordinaire espérance et une extraordinaire indécence. Après le déshonneur, Fillon veut tous les honneurs. Avec lui, la Vème République des puissants crache tout son mépris pour la démocratie et les citoyens. François Fillon continue ses meetings, François Fillon est protégé tous les jours par la police, il n’est pas contrôlé, il n’est pas violenté, il est entouré et respecté. Seuls quelques bruits de casseroles parviennent à ses oreilles mais il préfère les ignorer.
Le monde qui le porte veut rester insensible à la souffrance qui monte. Mais cette souffrance est en train de devenir insoutenable et l’autre monde pourrait bientôt trouver un exutoire à sa douleur.