Mercredi 16 mai 2012, Pierre-René Lemas, le secrétaire général de l’Elysée, égrène , d’une voix monocorde, les postes ministériels du nouveau gouvernement : une longue liste paritaire de trente quatre ministres, résultat, paraît-il, d’un dosage délicat et subtil. Il a fallu respecter les différentes sensibilités du PS ainsi que ses petits satellites que sont EELV et le parti radical afin d’agglomérer et de dynamiser toutes les énergies dans la perspective des élections législatives, une recette de biodynamie politique sociale-libérale en quelque sorte. François Hollande, un expert en la matière, a fait de son mieux : une larme d’éléphant, un soupçon de radicalisme, un zeste d’écologie, une toute petite pointe de société civile . . .
Au final, une équipe composée de gens qui ne sont certes pas tout à fait normaux mais qui, sous l’impulsion d’une présidence normale, vont poursuivre des objectifs qu’on peut qualifier de « normaux » pour une époque marquée par cinq année de sarkozysme et qui demeure sous la férule d’un capitalisme financier mondialisé.
Mais la normalité s’oppose souvent au rêve et à l’imagination . . .
En 1981, François Mitterrand créait « le Ministère du temps libre ». Trente ans plus tard, le droit à la retraite à 60 ans effacé, François Hollande crée le ministère du redressement productif, confié à Arnaud Montebourg . Dans une société ravagée par le chômage, l’aspiration au temps libre est désormais une incongruité. La production nationale redevient une priorité, une finalité en soi, car elle permet le travail et peu importe que ce travail soit peu rémunéré, inutile voire nuisible ; il vaut mieux avoir des travailleurs pauvres que des assistés. La sémantique de ce nouveau gouvernement signe l’échec des aspirations qui avaient accompagné la victoire de la gauche en 1981. Le rêve d’une société plus libre, plus émancipée des différentes formes d’asservissement, s’est évanoui ; il n’a plus sa place dans une société accaparée par les peurs, les frustrations, les déceptions. Trente ans après, plus que les délocalisations et une certaine forme de désindustrialisation, ce sont bien nos millions de chômeurs et de travailleurs pauvres ainsi que le report de l’âge légal de départ à la retraite qui signent l’échec patent de l’économie libérale et des gouvernements libéraux ou sociaux-libéraux qui se sont succédé en France depuis 1983. Notre production et nos richesses ont pourtant formidablement progressé -en trente ans, le PNB par habitant est ainsi passé de 20.000 € à environ 30.000 € ( en € constants 2010)- mais notre société capitaliste moderne se révèle incapable de partager le travail et les fruits du travail ainsi qu’ à tirer parti du progrès technologique afin de libérer véritablement l’homme . Le profit des actionnaires se soucie peu des ouvriers et les richesses que nous créons collectivement ne sont toujours pas destinées à améliorer les conditions d’existence du plus grand nombre. Dans ces conditions, afin de pouvoir vivre ou tout simplement survivre, la finalité d’une existence humaine reste tournée vers le travail, travail souvent contraint et dont les conditions n’ont cessé de se dégrader ces dernières années.
On aurait pu avoir un ministère des paysans et de la protection des abeilles, nous avons un ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire. C’est plus prosaïque mais pas forcément de très bon augure quand on connaît la pression exercée par l’agroalimentaire et plus généralement l’agro-industrie sur les pratiques agricoles. Là aussi, trente ans de société de consommation et de conditionnement alimentaire pèsent sur la réalité et sur la normalité d’une politique . . . Espérons néanmoins que le développement d’une agriculture paysanne respectueuse du vivant sera désormais un des objectifs principaux du nouveau ministre Stéphane Le Foll. Mais, pour cela, il devra nécessairement affronter certains lobbies et rompre avec les normes habituelles du ministère de l’agriculture et de ses prédécesseurs.
De toutes façons, aucun président, aucun ministre ne pourra jamais nous convaincre qu’ il faut être sage, s’acquitter de ses dettes et se résigner à vivre «normalement » dans un monde livré à la folie des marchés .