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Billet de blog 20 sept. 2022

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Travail et sobriété

En cette rentrée, la sobriété et le travail sont à l’honneur. Davantage de sobriété, davantage de travail, réclament à la quasi-unanimité nos responsables politiques.  Mais ces deux mots d’ordre ne sont-ils pas contradictoires ?

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En cette rentrée, la sobriété et le travail sont à l’honneur. 

Davantage de sobriété, davantage de travail, réclament à la quasi-unanimité nos responsables politiques. 

Mais ces deux mots d’ordre ne sont-ils pas contradictoires ? Est-il possible, dans le cadre économique actuel, d’appeler à la sobriété tout en exhortant l’ensemble de la population à  travailler plus et plus longtemps ? 

Le thème de la sobriété est apparu récemment dans le débat public à cause du renchérissement du coût de l’énergie alors qu’il aurait déjà dû s'imposer depuis de nombreuses années, dans les pays riches tout du moins,  afin de limiter l’ampleur de la  pollution et de la crise écologique. Notre planète croule sous les objets en tous genres et sous les déchets. Le vivant s’asphyxie peu à peu, étouffé par la consommation humaine.   Le capitalisme ne connaît  la sobriété qu’en tant qu’instrument pour affronter une pénurie de matières premières, énergétiques notamment, ou pour réduire les coûts d’approvisionnement ; il se nourrit  de la production et de l’exploitation du travail et il a donc horreur de la sobriété volontaire, celle qui remet en cause la croissance.

La valeur travail est quant à elle pervertie, faussée par la rationalité économique  qui ne connaît que le travail salarié, le travail soumis à des impératifs qui le plus souvent ne permettent ni l’émancipation individuelle, ni un véritable développement collectif.  

Dans le cadre d’une économie tournée vers le profit, marquée par la recherche permanente de gains de productivité en lien avec une mécanisation et une numérisation  de plus en plus poussée,  plus de travail global signifie  plus de production, et quasi-automatiquement plus de pollution, plus d’impact sur l’environnement ( sachant que la crise écologique ne se limite pas au seul problème des  émissions de gaz à effet de serre). 

Le travail salarié en entreprise est très peu sensible à l’intérêt collectif. Pour un capitaliste, pour le patron d’un grand groupe,  le travail n’ a de sens et d’utilité que lorsqu’il permet de déboucher sur un bénéfice.  

Dans les pays développés, quel est le pourcentage de produits vendus grâce à la publicité dont les consommateurs n’ont pas véritablement l’usage ou du moins un usage très partiel et éphémère ?  La firme Apple vient de mettre sur le marché son nouvel iphone 14 - en fait toute une nouvelle série de smartphones -  et comme chaque année la campagne de lancement de ses nouveaux produits a donné lieu à une gigantesque opération de conditionnement des acheteurs potentiels. Elle n’est évidemment pas la seule à investir dans le marketing. Les dépenses publicitaires mondiales dans le numérique représentent désormais environ 600 milliards d’euros ! Les publicitaires sont à l’ouvrage, ils travaillent,  et ils travaillent bien en permettant d’entretenir et de  conforter l’immense machinerie capitaliste.  

Notre surconsommation globale, qui découle  principalement du mode de vie des pays riches, est la traduction de notre surproduction et par là même de notre travail excessif. Dans le cadre du système économique actuel, pour répondre véritablement à l’exigence de sobriété et aux défis environnementaux, il conviendrait donc non pas de travailler davantage mais bien au contraire de travailler moins.  

“Défendre le travail" comme nous y invite Fabien Roussel ne va donc pas forcément de soi, en particulier pour une gauche alternative. Le travail ne peut certainement pas être considéré comme une valeur indiscutable, il doit nécessairement être évalué au regard de son résultat et du contexte dans lequel il est mené. 

Quelle est exactement la finalité de mon travail ?  Permet-il  la production d’un service ou d’un objet utile et cette production est-elle compatible avec le respect du vivant et de l’environnement ?  Ce sont les  questions que chacun devrait désormais se poser en situation de travail, soit dans une entreprise soit au sein de l’appareil d’Etat qui n’est pas toujours au service du public et de l’intérêt général. Alors certains objecteront bien entendu qu’il s'agit là d’une problématique de privilégiés, d’enfants gâtés, de jeunes éco-anxieux titulaires de diplômes prestigieux et recherchés , à l’image des étudiants de l’AgroParisTech appelant à ne pas faire carrière dans l'agro industrie.  Ceux-la peuvent encore  choisir alors que pour la majorité des individus le travail n’est pas un choix mais une nécessité pour vivre. Certes, mais c’est justement une raison supplémentaire pour laquelle il convient de s’interroger sur le sens du travail  en régime capitaliste et sur l’aliénation qu’il entraîne. Le marché est inapte à fixer d’autres objectifs au travailleur que celui de l’efficacité économique et de la rentabilité à son poste ou dans le cadre de  sa mission. Le travail dans l’économie capitaliste ne se préoccupe ni d’objectifs sociaux ni d’ objectifs environnementaux.  Le salaire permet accessoirement au travailleur de subvenir à ses besoins mais il s’agit d’une conséquence sociale résultant de la nécessité pour l’entreprise de payer en contrepartie du travail effectué et non pas d’une finalité. Quant à la protection de l’environnement, c’est une charge supplémentaire, une contrainte qui doit toujours  être imposée par l’Etat.

D'autre part, travailler plus pour gagner plus et consommer plus renforcent les chaînes qui nous lient à la société de consommation et confortent l’hétéronomie des citoyens.

La gauche ne peut se reconnaître dans les propos de Fabien Roussel, elle pourrait même déclarer en contrepoint exactement le contraire : dans une économie néolibérale prédatrice socialement et écologiquement  “ la gauche doit défendre les allocations et les minima sociaux et ne pas être la gauche du travail”.  Les allocations - et notamment l’allocation chômage- ainsi que les minimas sociaux sont des revenus de substitution ou de subsistance  qui permettent  de s’affranchir, au moins momentanément, d’un travail salarié qui peut être chronophage et déstabilisant. Sans cette petite soupape de liberté, l’univers de l’entreprise deviendrait quasi-carcéral et il serait encore plus difficile pour quiconque  de trouver un emploi correspondant à ses motivations et son éthique personnelle. 

Le “droit à la paresse” revendiqué par Sandrine Rousseau ne doit pas être considéré comme  le droit à l’oisiveté, à la nonchalance, à une forme de jouissance insouciante et égoïste quand d’autres souffrent au travail mais comme le droit au refus du travail social lorsque celui-ci ne remplit pas les critères d’émancipation et d’épanouissement personnel ainsi que  les critères sociaux et environnementaux que l’on juge indispensables. C’est  le droit à la reconquête d’une autre forme de travail, le droit au travail en autonomie, au travail pour soi, au travail libéré du calcul comptable, et aussi le droit au temps libre pour d’autres activités. 

La reconnaissance de la valeur travail qui va souvent de pair avec la stigmatisation de l’assistanat est un marqueur d’une société placée sous le joug du productivisme. Ce n’est pas tant le signe d’un respect pour le travail salarié que l’expression du rejet d’une existence qui pourrait être menée en dehors du cadre formaté par le capitalisme et la société de consommation et de croissance. 

Pour les tenants du système et les laudateurs de la valeur travail, quoi de plus effrayant que la sobriété !

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