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Billet de blog 21 novembre 2023

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Têtes de linotte ou têtes à claques ?

Comme chaque semaine, l’homme est là, debout, attentif, posté derrière ses jumelles ; sa longue vue est à portée de main, posée devant lui sur le parapet qui surplombe la  Nivelle. . .

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Linotte mélodieuse (pdf, 73.4 kB)

Comme chaque semaine, l’homme est là, debout, attentif, posté derrière ses jumelles ; sa longue vue est à portée de main, posée devant lui sur le parapet qui surplombe la Nivelle, une  rivière basque qui fait office de ligne de démarcation  entre Saint Jean de Luz et Ciboure. Il scrute les berges marécageuses de ce petit fleuve côtier ( le fleuve le plus méridional de France)  qui s’étendent  en amont de la zone portuaire. À marée basse, la Nivelle n’est plus qu’un filet d’eau paresseux qui serpente dans la vase, en contrebas des berges où sont couchées sur le flanc des embarcations et des barques de pêcheurs dans un désordre coloré. Les goélands et les mouettes viennent là s’y poser en nombre pour se repaître de mollusques et de vers. Mais l’homme aux jumelles ne s’y intéresse guère, il traque surtout les spécimens rares. Une fois par semaine, toujours au même endroit, il observe les oiseaux une heure durant et note soigneusement sur un petit calepin les espèces menacées et protégées.  Il travaille pour une association de protection de la nature. Comme beaucoup d’autres, son association fonctionne en grande partie grâce à des subventions européennes qui donnent corps à la directive “concernant la conservation des oiseaux sauvages” surnommée la directive “oiseaux”. D’après une étude récente, l’Europe perd en moyenne 20 millions d’oiseaux par an depuis 40 ans   et tout un ensemble d’actions sont censées enrayer le déclin de ces populations indispensables à l’équilibre de l’ensemble des écosystèmes. Celui qui suit régulièrement sur le terrain l’évolution des espèces protégées reconnaît quelques résultats, l’exemple de la cigogne est sans doute le plus spectaculaire  : alors qu’en 1974, il n’y avait plus qu’une dizaine de couples nicheurs recensés en France, ils sont aujourd’hui plusieurs milliers. Mais la cigogne cache le déclin massif de la plupart des espèces, des oiseaux autrefois très communs disparaissent de nos campagnes : les alouettes, les grives, les faucons crécerelles, les chouettes, les linottes mélodieuses, les tariers des prés, les verdiers, etc, se font de plus en plus rares, même le moineau domestique a perdu en moins de quarante ans la moitié de sa population. Notre ami des oiseaux  est particulièrement indigné par la réautorisation du glyphosate, ce marqueur d’une agriculture intensive, premier responsable de l’effondrement de la biodiversité. Alors même qu’Emmanuel Macron s’était engagé en novembre 2017 à interdire cet herbicide total au plus tard en 2021, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau juge désormais qu’il n’est pas possible de l’interdire  et justifie ainsi la position française qui, en s’abstenant de voter contre la réhomologation  de l’herbicide, a permis de fait la poursuite de son utilisation et de ses effets dévastateurs sur la vie d’innombrables organismes vivants. 

Le comble de l’hypocrisie et du cynisme  revient sans doute à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, qui a qualifié la décision de la Commission européenne de “dinguerie”.

Le chant de la linotte mélodieuse sera -t-il bientôt un  chant du cygne ? Car l'ennemi n°1 de la linotte comme celui  des autres oiseaux  est bien sûr  l’agriculture intensive dont le glyphosate est un élément essentiel, un support précieux.  Avant l’avènement des pesticides et de l’agriculture moderne, les ennemis de la linotte étaient  des prédateurs naturels. Bâtissant  son nid à faible hauteur, sans prendre trop de précautions, la linotte semblait peu soucieuse  de l’avenir de sa couvée, elle avait donc  la réputation d’être insouciante,  sans discernement, sans mémoire, d’où l’expression “tête de linotte “ pour désigner une personne étourdie et limitée dans ses jugements.

Nos décideurs nationaux et européens sont-ils des “têtes de linotte” pour engager des milliards d’euros, notamment dans le cadre du programme LIFE  ( 5,4 milliards entre 2021 et 2027) afin de préserver la biodiversité tout en accordant une nouvelle autorisation au glyphosate, un destructeur d’écosystèmes et tueur de masse ? 

Ce serait se méprendre sur la nature de leurs agissements.  

Ces dirigeants  n’ont pas l’excuse de l'insouciance et de la légèreté, bien au contraire. Dans leurs bureaux, derrière leurs écrans et bien loin de la nature, ils calculent, ils apprécient le pour et le contre, ils évaluent,  et au final  ils arbitrent presque toujours en faveur des profits de l’agro-industrie au détriment des biens communs et de la planète.

Têtes de linotte, non ! Mais tête à claques, assurément oui !

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