Le régime syrien a repris Alep, c’est sans doute un fait clairement établi, avec cette ville rasée, ces hôpitaux bombardés, ces massacres, ces crimes de guerre.
Mais, pour le reste, la vérité semble, selon l’adage bien connu, faire partie des victimes de ce conflit.
Selon certaines sources d’information, les habitants d’Alep-Ouest sont en liesse, fêtant le départ des islamistes et le retour de la liberté. Pour eux, Poutine a réglé le problème, Poutine est un libérateur.
Pour d’autres, pour beaucoup d’autres, Poutine vient de conforter la dictature de Bachar el-Assad en écrasant un des derniers bastions de la rébellion, au prix de milliers de victimes innocentes, prises dans un terrible piège.
Fallait-il soutenir la résistance des insurgés à Alep ? Et, dans ce conflit, faut-il souhaiter la victoire des rebelles dont beaucoup désormais se réclament ouvertement de l’al Qaïda ? Faut-il se ranger au côté du Qatar et de l’Arabie Saoudite, à la tête d’une coalition arabe qui mène depuis plus d’un an, avec l’appui des Etats-Unis, une guerre contre les rebelles houthistes, moins médiatisée mais tout aussi dévastatrice, au Yémen ?
Evidemment, il y a ces images terribles relayées par la presse, par les réseaux sociaux, des images qui ne peuvent que susciter l’indignation, la colère, l’envie de faire pression sur nos dirigeants. Devant nos écrans, nous sommes assignés comme témoins à un procès pour barbarie dont les coupables sont tout désignés.
Mais on ne nous donne à voir qu’une petite partie de la scène du crime et qu’une séquence bien partielle. Au Proche-Orient, il y a les crimes de guerre dont on parle et ceux dont on parle beaucoup moins, les premiers choix médiatiques et les autres. Parmi les corps suppliciés, démembrés, déchiquetés, il existe des bas morceaux médiatiques.
Au final, loin du théâtre des opérations, l’émotion du spectateur est instrumentalisée, orientée, sélective. Comment s’y reconnaître, comment se faire une opinion éclairée et juste dans ce dédale d’informations contradictoires ?
La Syrie est un champ de bataille mouvant et complexe. Alep est reprise par les troupes de Bachar el - Assad mais, dans le même temps, Palmyre est à nouveau entre les mains de Daesh.
Nos politiques n’ont plus la main mais nous savons bien que les évènements qui se déroulent en Syrie et notre impuissance actuelle sont aussi la suite logique de toute une série d’actions et d’inactions dont l’élément déclencheur fut la guerre menée en Irak, en 2003, par Georges Bush.
En Syrie et sur les autres zones de conflit du Moyen-Orient, tous les fanatismes, encadrés par quelques grands fauves de la planète, se sont donné rendez-vous. Toutes les religions, toutes les factions, toutes les tribus donnent libre cours à leurs passions furieuses sur des champs de ruines. Aux intégrismes, aux croyances, aux irrédentismes de tous bords, se mêlent les intérêts stratégiques et économiques des grandes puissances.
Les peuples se trouvent pris dans tout cet écheveau d’intérêts entremêlés. Les grands fauves dominants tentent de tirer les ficelles mais celles-ci sont si nombreuses qu’elles finissent par s’enchevêtrer. Et sous ces ficelles, les populations civiles souffrent et agonisent tels des pantins désarticulés.
Dans l’immédiat, pour des citoyens occidentaux, la seule boussole possible c’est de prendre désespérément et inlassablement le parti des populations civiles martyrisées. Un passage de « l’éloge de la Fuite » d’Henri Laborit me semble s’appliquer à la situation présente : « Toute autorité imposée par la force est à combattre. Mais la force, la violence, ne sont pas toujours du côté où l’on croit les voir. La violence institutionnalisée, celle qui prétend s’appuyer sur la volonté du plus grand nombre, plus grand nombre devenu gâteux non sous l’action de la marijuana, mais sous l’intoxication des mass media et des automatismes culturels traînant leur sabre sur le sol poussiéreux de l’histoire, le violence des justes et des bien-pensants, ceux-là même qui envoyèrent le Christ en croix, toujours solidement accrochés à leur temple, leurs décorations et leurs marchandises, la violence qui s’ignore ou se croit justifiée, est fondamentalement contraire à l’évolution de l’espèce. Il faut la combattre et lui pardonner car elle ne sait pas ce qu’elle fait. On ne peut en vouloir à des êtres inconscients, même si leur prétention a quelque chose d’insupportable souvent. Prendre systématiquement le parti du plus faible est une règle qui permet pratiquement de ne jamais rien regretter. Encore faut-il ne pas se tromper dans le diagnostic permettant de savoir qui est le plus faible. (…) »
« Prendre systématiquement le parti du plus faible ». . . Aujourd’hui, en Syrie, on ne peut que condamner Bachar el-Assad et Poutine pour leurs méthodes barbares. Mais convient-il pour autant de soutenir le camp adverse ?
Juger des criminels, certes ! Mais quel dommage d’êtreconvoqués au tribunal par d’autres criminels !