Depuis le début de l’année, l’actualité est marquée par une série d’événements majeurs, historiques, et, dans ce tumulte de l’histoire, les « gros titres » se bousculent à un rythme qui ne permet aucun approfondissement, aucune mise en perspective. Tout est traité dans l’instant, dans une immédiateté qui laisse peu de place à la réflexion. Les résultats et les conséquences politiques des élections cantonales -qui ont pris cette semaine le relais, dans les éditoriaux, de la catastrophe nucléaire au Japon ou de l’intervention militaire en Lybie - n’échappent pas à la règle. La montée du Front National qui constitue l’évènement remarquable, combiné avec le taux d’ abstention record de ces élections partielles, est analysée avec une focale extrêmement réduite : la plupart des médias s’intéressent en priorité aux conséquences politiciennes de ce vote et notamment à la stratégie électorale des partis dominants face au phénomène « Le Pen », s’abstenant de mener un vrai travail d’information et de questionnement sur les thèses défendues par le Front National. Les différences de positionnement au sein de l’Exécutif et les états d’âme des leaders de l’UMP occupent les rédactions qui entretiennent et alimentent ainsi le rejet de la classe politique traditionnelle par l’homme de la rue. Une fois de plus la communication et les images prennent le pas sur une véritable information et sur le débat démocratique. Et le jeu de dupes peut continuer, avec la complicité de journalistes paresseux et complaisants.
L‘UMP redore à bon compte son blason de parti respectueux des valeurs de la République en vouant aux gémonies un mouvement dont il s’inspire désormais largement pour toutes les questions de société et le parti de Marine le Pen endosse, quant à lui, avec satisfaction, les habits de victime et de « souffre-douleur » de formations « républicaines » de plus en plus discréditées. Le FN peut d’autant plus facilement prétendre se ranger auprès des petites gens et des exclus et se présenter comme un parti de contestation du système en place qu’il est rejeté et vilipendé par les partis de gouvernement. Le FN prospère sur un terrain qui lui est particulièrement favorable : celui de l’incantation et de la stigmatisation en provenance de partis usés par le pouvoir. Le brouhaha médiatique et l’agitation provoquée par quelques prises de position extrêmes masquent assez commodément les autres réalités du programme du Front.
De même que Nicolas Sarkozy avait pu « vendre » très librement un programme qui ne pouvait déboucher que sur une aggravation des difficultés pour les plus démunis, Marine le Pen peut affirmer, sans être contredite, conduire un mouvement qui défend les intérêts du peuple, car ses véritables propositions notamment en matière économique et sociale ne sont jamais exposées et sont donc inconnues du grand public Or, ainsi que le met en lumière fort opportunément un petit ouvrage édité par un collectif qui regroupe des militants de la FSU, de la CGT, de la CFDT et de Solidaires, le Front National est « le pire ennemi des salariés ». Loin de remettre en cause la logique capitaliste qui est à l’origine de la plupart des maux touchant les plus défavorisés, Le FN est aussi un partisan de l’ordre patronal. La démonstration peut en être faite très aisément, étayée par de multiples exemples. Pour ne citer que quelques propositions *:
- La loi Aubry sera abrogée et l’organisation du temps de travail négociée par branches et par entreprises entre partenaires sociaux.
- La gestion de la formation continue sera entièrement confiée aux organisations professionnelles.
- Le salaire direct sera instauré. Pour cela, « les charges sociales, patronales et salariales devront décroître considérablement de façon à augmenter les revenus directs des salariés, ceux-ci auront alors la liberté d’affecter à des organismes de leur choix le surplus ainsi dégagé sous forme de cotisations complémentaires d’assurance-maladie ou d’assurances-vieillesse, à travers des mutuelles ou régimes spécifiques d’entreprise existants ou à créer ».
- L’obligation juridique d’assurance-maladie sera conservée mais le libre-choix de l’organisme d’assurance instauré pour les risques les moins graves ( un organisme, sous tutelle de l’Etat, prendra en charge le « gros risque », le « petit risque » sera pris en charge et géré, soit par la sécurité sociale actuelle, soit par des organismes mutualistes ou d’assurance privée).
- Etc . . .
Marine Le Pen est donc, comme le fut Sarkozy en 2007, avant tout le produit d’une communication trompeuse et dévoyée. Son parti doit être combattu sur le terrain des idées mais encore faut-il pour cela qu’une certaine classe médiatique prenne la peine d’informer les citoyens et de faciliter un vrai débat démocratique.
Jean-Luc Gasnier
* L’ensemble des propositions du Front National figure sur le site : http://www.solidaires.org/rubrique43.html