Au lendemain des dernières élections législatives de juin 2024, la représentation nationale était clairement divisée en trois blocs : un bloc constitué de la gauche élue sur le programme du NFP, un bloc dit central, soutien de la politique macroniste, allant du Modem aux LR, et un bloc d’extrême droite regroupant le RN et l’UDR ( Union des droites) d’Eric Ciotti.
Au vu des discussions budgétaires en cours et des orientations économiques, écologiques et sociales défendues par les uns et les autres, il est désormais plus réaliste de considérer que l’Assemblée nationale est essentiellement composée de deux blocs principaux et antagonistes ainsi que d’un petit groupe charnière : il y a un bloc de gauche d’opposition résolue au macronisme et au capitalisme financier qu’il représente, un bloc de droite et d’extrême droite servant plus ou moins ouvertement les intérêts des puissants, et au centre un petit groupe de députés socialistes qui entend profiter de sa position d’arbitre et de censeur potentiel pour passer des compromis avec le gouvernement. Au prétexte d’avoir obtenu la suspension de la réforme des retraites, le PS accorde une nouvelle fois un sursis au pouvoir en place et espère ainsi obtenir de sa part quelques concessions dans le débat autour d’un budget qui est un « véritable musée des horreurs inégalitaires » selon l’expression du Président de la Commission des Finances Eric Cocquerel. Les tractations entre le PS et le parti Renaissance vont bon train, le compromis étant selon Sébastien Lecornu « la noblesse du débat démocratique ». Mais dans le bras de fer ou plutôt la partie de poker menteur qui s’engage, le PS apparaît singulièrement faible. Multiplier les mises en garde et les ultimatums n’a de sens que si l’on donne le sentiment d’être prêt à mettre ses menaces à exécution. Or le PS ne tient jamais fermement une position et accumule les reculades et les reniements. Déboussolé par l’aile droite de son parti, Olivier Faure renoue avec le pire du mollétisme. Elus sur un programme de rupture radicale avec le macronisme, les élus socialistes adoptent maintenant une posture beaucoup plus modérée et permettent la prolongation d’une politique qu’ils condamnaient pourtant fermement lorsqu’ils étaient en campagne devant leur électorat.
De compromis en compromis, le PS s’engage sur la voie de la compromission.
L’amendement de repli déposé par le PS concernant la taxation du patrimoine des ultrariches en est l’illustration. Cette version allégée de la taxe Zucman prévoit un certain nombre d’exonérations qui excluent notamment de l’impôt les entreprises familiales et innovantes avec au final une assiette beaucoup moins large que celle prévue initialement. Au dire des responsables du PS, la nouvelle version « light » rapporterait entre 5 et 7 milliards d’euros ( au lieu des 15 à 20 milliards de la taxe originelle). Gabriel Zucman, interrogé à ce sujet, craint un rendement bien moindre car « dès qu’on introduit dans la loi des exonérations, on lance la machine à optimisation », l’histoire économique l’a maintes fois montré.
La mise en place de la taxe Zucman vise à rétablir un minimum d’équité fiscale et à faire en sorte que les milliardaires ne paient pas moins d’impôt que le Français moyen dont tous les impôts cumulés représentent environ 51 % de ses revenus alors que ce taux d’imposition tombe à 25¨ % pour les très grandes fortunes. Gabriel Zucman considère d’ailleurs qu’il s’agit là d’une « conception minimaliste de la justice fiscale qui devrait être consensuelle »
Dans le contexte actuel marqué par l’explosion des inégalités, un effort de solidarité conséquent doit être exigé des très grandes fortunes. Le budget ne peut être privé de telles recettes fiscales alors que les mécanismes de solidarité nationale sont déjà fragilisés. Le secteur associatif, si essentiel pour lutter contre l’exclusion et atténuer les effets de la grande pauvreté (aujourd’hui 12 millions de français, en incorporant les Français qui vivent dans les territoires d’outre-mer, vivent en dessous du seuil de pauvreté) pourrait être terriblement affecté par la baisse de ses subventions, des dizaines de milliers emplois sont menacés.
Exiger 20 milliards de contribution solidaire de la part de milliardaires dont la fortune a considérablement augmenté ces dernières années pour atteindre d’après le magazine Challenges 1200 milliards en 2024 ne paraît pas relever d’une quelconque violence révolutionnaire mais plutôt de la modération social-démocrate. Est-ce encore trop pour le PS ?
Le RN observe tout cela avec gourmandise, le populisme d’extrême droite se nourrit de la montée de l’insécurité économique et du mécontentement populaire.