Il y a vingt cinq ans, le nuage de Tchernobyl épargnait la France. Il s’agissait alors de protéger notre industrie nucléaire des retombées médiatiques d’une catastrophe susceptible de remettre en cause un choix considéré comme stratégique et irréversible. Et cet accident survenait dans un pays dont la technologie sommaire ne pouvait en aucune manière être comparée à la nôtre. L’option nucléaire pouvait perdurer et la France est désormais le pays le plus nucléarisé au monde. Aujourd’hui, notre indépendance énergétique se paye au prix fort : une industrie monstrueuse, inhumaine, s’est installée ; elle a pris place sournoisement, insidieusement, sans débat démocratique, imposée par quelques technocrates « éclairés » et elle a contaminé les esprits au point d’être présentée par certains comme une source d’énergie renouvelable, indispensable et non polluante.
Le secteur nucléaire emploie plus de 100.000 personnes, d’énormes intérêts sont en jeu et l’entêtement de nos dirigeants (actuels et passés) rend de plus en plus difficile le renoncement et une reconversion pourtant nécessaires. La récente catastrophe de Fukushima relance le débat mais la résistance au changement demeure ; les réactions du gouvernement actuel témoignent de son autisme et de sa volonté de continuer dans une voie qui compromet l’avenir. Ainsi, réagissant aux propos du Commissaire européen à l’énergie Günther Oettinger qui affirmait récemment que « le test de résistance que nous voulons mener sur tous les réacteurs nucléaires montrera qu’ils ne satisfont pas tous aux plus hautes normes de sécurité », le ministre de l’industrie et de l’énergie Eric Besson n’hésite pas à déclarer qu’il est « surpris et choqué par ces déclarations qui sont de nature à inquiéter nos concitoyens et à jeter le discrédit sur une industrie ». Il ne se passe pas un jour sans qu’on alerte les citoyens européens sur l’impact des déficits budgétaires et le péril représenté pour l’économie et les générations futures par les dettes publiques, mais il conviendrait en revanche de se taire sur la dangerosité du nucléaire ! Pourtant, la dette nucléaire que nous léguons à nos enfants, petits-enfants, arrière-petits enfants, .. . est bien plus contraignante et angoissante. Cette dette là ne s’annulera pas : confinée derrière des coffres-forts en béton ou enfouie dans notre sous-sol, elle perdurera, legs honteux et menaçant de notre société de gaspillage.
Nous ne devons pas nous demander si nous devons sortir du nucléaire mais simplement comment en sortir. Fukushima doit être l’ultime avertissement. Quant aux sceptiques, aux irresponsables, aux hommes politiques qui comme Eric Besson sont inféodés au nucléaire, à tous ceux qui pensent que l’on peut apprivoiser l’atome, on ne saurait trop leur conseiller la lecture du livre que Svetlana Alexievitch consacra au monde de Tchernobyl (le monde de Tchernobyl après la catastrophe) : « la supplication ». Souhaitons simplement que ce monde là ne soit pas notre monde de demain.