Après Sarkozy et Hollande, les gens abhorraient la politique traditionnelle et aspiraient au renouveau. Depuis deux ans, une campagne de promotion intense, tous médias, tous publics, avait permis de faire connaître un nouveau produit, compatible avec les exigences très strictes des grands groupes industriels et financiers.
Jeune, transpartisan, dynamique, aimablement « révolutionnaire », le leader du mouvement « En marche » était séduisant, médiatique. Les sponsors, conscients des retombées prévisibles et des bénéfices à venir, avaient mis généreusement la main au porte-monnaie pour financer une opération de marketing menée tambour battant.
Pour les citoyens désimpliqués, désinformés, et consommateurs de politique spectacle, qui constituent désormais une frange importante de l’électorat, le concept, clinquant, décalé, frondeur mais rassurant, s’est révélé vendeur.
Tout a bien fonctionné.
Emmanuel Macron a été élu et le second tour tant espéré contre Marine Le Pen a permis de réaliser un score confortable, en trompe-l’œil, et de légitimer un pouvoir somme toute ultra minoritaire dans l’opinion. Comme en 2002 avec Jacques Chirac, une large victoire contre le Front National vaut finalement plébiscite et approbation du programme ; le piège peut alors se refermer, implacablement, sur l’électorat.
Mais Il faut aussi donner au Président une majorité parlementaire.
Une nouvelle phase de la prise de pouvoir est désormais lancée. Pour les législatives à venir, Emmanuel Macron devient une marque ombrelle (En marketing, une marque ombrelle est une marque utilisée simultanément pour un ensemble de produits hétérogènes) qui chapeaute des offres politiques venues d’horizons divers. La nouvelle présidence agrège toutes les bonnes volontés et assure ainsi une amplitude et une qualité de service optimale. Une sorte de « contrat de confiance » basé sur l’engagement et le parrainage personnels d’Emmanuel Macron est passé entre les candidats estampillés « la République en marche » et les électeurs. Il y en a pour tous les goûts, pour toutes les couleurs.
Vous êtes écologistes, alors votez pour la majorité présidentielle, nous avons Nicolas Hulot en rayon !
Vous êtes de droite, nous avons ce qui se fait de mieux en la matière avec Edouard Philippe !
Vous êtes de gauche, nous disposons de quelques anciens ministres socialistes recyclés . . .
Pour le centre, nous sommes également bien pourvus avec de bonnes vieilles références comme François Bayrou par exemple.
Ce qui compte avant tout, ce sont les compétences et le pragmatisme. Les députés de la majorité présidentielle mettront enfin leur idéologie de côté pour résoudre les problèmes des Français. La politique peut se diluer dans la société civile.
Le publicitaire Jacques Séguéla doit admirer ce petit génie de la révolution tranquille. Le marketing politique atteint là son apogée. Le Président est devenu une marque et les candidats de la majorité présidentielle se vendent auprès de leur électorat comme de vulgaires produits.
A l’occasion d’un reportage diffusé sur une radio nationale, on peut ainsi entendre une candidate de « La République en marche », toute affairée à séduire ses concitoyens, s’écrier en guise d’argument électoral ultime : « Regardez, c’est marqué dessus ! Je suis la candidate d’Emmanuel Macron ».
Il y a un an, le mouvement Nuit debout portait dans la rue l’aspiration à une démocratie revivifiée et renouvelée. Les institutions de la Vème République ont broyé tout cela et régurgité un nouveau roi-soleil. L’effervescence provoquée par les ratés de la présidence Hollande débouche sur une nouvelle régression démocratique avec une personnalisation exacerbée du pouvoir qui prétend absorber les antagonismes politiques. L’opposition est circonscrite aux extrêmes, il n’y a plus d’alternative crédible, ne subsiste que le projet purement technocratique d’asservissement aux critères industriels et financiers de l’oligarchie dominante.
Pendant combien de temps ce sinistre malentendu peut-il durer ?