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Billet de blog 2 janv. 2023

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Flashback (2005) : L'interminable attente pour un ultime hommage au pape Jean-Paul II

Alors qu'une foule de fidèles rend hommage en la basilique Saint-Pierre de Rome au pape émérite Benoît XVI, décédé le 31 décembre 2022, remontons le temps, en 2005, lorsqu'il m'a fallu 15 heures entre le 6 et le 7 avril 2005, pour accéder - pendant moins d'une minute ! - à la dépouille du pape Jean-Paul II. Un reportage que j'ai signé dans l'hebdomadaire mauricien "Week-end", le 10 avril 2005.

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Reportage au coeur de Rome, réalisé entre le mercredi 6 et le jeudi 7 avril 2005 (Week-end, dimanche 10 avril 2005). © Jean-Luc Mootoosamy/Media Expertise

« Un’ attensa interminabile », disent les Italiens. En effet, l’attente semblait interminable mercredi dernier. Il a fallu un peu plus de 15 heures pour arriver à accéder au chœur de la basilique Saint-Pierre de Rome et se recueillir quelques secondes devant celui que la presse Italienne qualifie de « plus grand des papes ». Nous avons fait ce parcours, du cours Vittorio Emanuele II à la Basilique St Pierre de Rome en passant par le pont Emanuele II, la rue Pie X et la via Della Conciliazione. Ces événements se déroulent entre 14 heures et 6 heures du matin…

14h00 : Une foule énorme, une multitude de drapeaux de tous les pays au bout de l’avenue Vittorio Emanuele II.  Impossible d’accéder au pont qui porte le même nom et qui traverse le Tibre en direction du Vatican. La police a placé un cordon de sécurité et les fidèles doivent se mettre à la droite du pont, sur le Lungotevere Degli Altoviti. Les télévisions étrangères en profitent pour essayer de repérer les ressortissants de leurs pays respectifs pour des interviews. Il fait très chaud. La protection civile distribue des bouteilles d’eau. Ceux qui ont déjà vu le pape sont heureux. Ils comparent les photos prises sur leur appareil numérique ou leur téléphone portable. Pour eux c’est fini. Notre attente, elle, commence.

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Une foule immense, à l'approche du pont Vittorio Emanuele II. Tous vont à la Basilique Saint Pierre. © Jean-Luc Mootoosamy

14h30 : Nous avons avancé de seulement deux mètres. Le service de sécurité freine la  progression de la foule. Elle met en place son dispositif pour l’arrivée demain de nombreux chefs d’Etats et de gouvernements, ainsi que des monarques. De plus en plus d’hélicoptères volent au dessus de nous. Parmi eux des appareils militaires. La police multiplie aussi les patrouilles sur le Tibre. Des télés sont avec eux pour filmer leurs opérations. De l’autre côté du fleuve, une forêt d’antennes paraboliques pour retransmettre l’événement que nous vivons.

17h28 : Trois heures sont passées et ce n’est que maintenant que nous arrivons sur le pont Vittorio Emanuelle II. Il fait environ 75 mètres. Un couloir est prévu à gauche pour permettre le Passage des secours. De nombreux enfants sont là, des Polonais, des Roumains et des petits Italiens, comme Alberto, âgé de trois ans et demi. Il est venu dire «au revoir »  au Saint Père. Il joue sagement avec son nouveau copain, Chinois. Alberto, comme les enfants présents ne pleure pas.

18h14 : La foule s’agite sur la gauche du pont. Une personne âgée a fait un malaise. Les secours ont été contactés au 118 par téléphone portable. Ils arrivent pour évacuer cette dame. Elle ne pourra pas continuer d’attendre et en pleure. Les secours en profitent pour distribuer encore de l’eau.

19h05 : Autre agitation. Des hélicoptères volent de plus en plus bas. Nous entendons plus de sirènes que d’habitude. Un cortège de voitures passe rapidement sur le pont. On aperçoit un petit drapeau américain sur l’une d’elles. « C’est Bush ! », lance une voix. Le président américain serait arrivé, ce qui explique la forte présence d’hélicoptères. On essaie de vérifier cette information en écoutant la radio.

19h30 : Le soleil se couche derrière le Vatican. La température baisse considérablement. Un vent frais commence à souffler. Il faut sortir le pull. La foule reste compacte sur le pont. C’est aussi l’heure du dîner. Le petit Alberto dévore un sandwich et des biscuits. Tout le monde en fait autant. On partage avec ceux qui n’avaient pas prévu de casse-croûte. L’attente devient de plus en plus pénible. « Nous ne sentons presque plus nos jambes à force de rester debout », dit une Française.

200 personnes à traverser les barrages toutes les demi-heures

20h15 : La foule chante pour se réchauffer. On entend des cantiques, des chants religieux et même des hymnes nationaux. Il fait nuit maintenant. Tout à coup, la foule avance de plusieurs mètres. C’est l’enthousiasme général. Nous arrivons presque à traverser le pont. Au dessus de nos tête un panneau indique l’entrée du Vatican. On y est presque !

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Des chants, des cantiques, de la bonne humeur, malgré le froid et l'attente. © Jean-Luc Mootoosamy

21h23 : Nous sommes au début de la rue Pie X. Cette route descend et nous voyons la foule importante qui attend. Le service de sécurité autorise environ 200 personnes à traverser les barrages toutes les demi heures. Il faudra encore être patient. On distingue le début de la via Della Conciliazione qui mène à la place St Pierre ainsi que la moitié d’un écran géant. CTV, la chaîne du Vatican, retransmet en direct ce qui se passe Place St Pierre. « Regardez ! ! Bush, Clinton. Ils se recueillent devant notre pape », dit une fidèle.

22h10 : Le petit Alberto s’est endormi dans les bras de sa maman. Il est épuisé et n’a pas pleuré une seule fois.

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22h44 : dans cette foule immense, je retrouve un Mauricien. Michaël Sandapen. Lors du voyage de Jean-Paul II à Maurice, en octobre 1989, il a approché le Saint-Père. Il est venu lui rendre un dernier hommage. © Jean-Luc Mootoosamy/Media Expertise

23h12 : Le cordon de police se referme devant nous. On ne passe plus. Il faut nettoyer cette route. Nous constatons l’effet du passage des fidèles : un amas de bouteilles en plastique, de papiers, de restes de sandwichs par terre. Un Italien, la soixantaine, discute bruyamment avec les policiers. Il fait de grands gestes pour montrer qu’il n’est pas content. Il se calme vite en voyant qu’il n’est pas le seul à attendre. Le service de nettoyage enlève les détritus.

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Nettoyer pour permettre le passage d'une marée humaine venue s'incliner devant Jean-Paul II. © Jean-Luc Mootoosamy

23h46 : La police nous laisse passer. C’est la course pour se placer sur la via Della Conciliazione. Pour la première fois, nous avons la Basilique St Pierre en face de nous. Elle est illuminée. Nous entendons maintenant les prières relayées par les hauts parleurs des deux côtés de cette route pavée. On voit aussi le mouvement incessant des fidèles devant la dépouille du souverain pontif sur les écrans géants, placés tous les 200 mètres. 

00h00 : Une annonce en cinq langues attire l’attention des fidèles. «  La basilique sera fermée au public de 02h00 à 05h00 du matin pour le nettoyage ». Tout autour c’est la consternation, presque le découragement. Nous savons que nous n’arriverons pas avant 2h00 du matin jusqu’aux portes de la Basilique. Nous continuons quand même à avancer.

01h45 : Nous sommes à l’entrée de la Place Saint-Pierre. A notre droite des échafaudages sur trois niveaux. Ce sont des plateaux de télévision mis en place depuis lundi. Des centaines de médias sont représentés. Les fidèles aperçoivent des visages connus de leurs télévisions nationales ou des réseaux comme CNN. Toujours sur la droite, les appartements privés du Pape. C’est en bas de ce bâtiment que des milliers de personnes ont veillé la semaine dernière.

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La Basilique Saint Pierre, enfin en vue ! © Jean-Luc Mootoosamy

02h00 : Les portes de la basilique se ferment comme annoncé. Les pèlerins restent sur place. Nous avons très froid au milieu de cette Place. La protection civile distribue des couvertures. Graduellement tout le monde s’assoit, certains s’endorment par terre, fatigués. Un couple de personnes âgées s’appuie contre une colonne et s’endort. D’autres disparaissent dans leur sac de couchage. Des pèlerins se ruent vers les toilettes publiques, à droite de la file d’attente, en prenant bien soin de demander aux proches de garder leur place. Il faut enjamber des dizaines et des dizaines de personnes pour sortir de cette file. Nous resterons immobiles pendant trois heures.

"C'est notre champion !"

04h55 : La foule s’anime. On voit de loin les portes de la basilique s’ouvrir. Les agents de la propreté vêtus d’une combinaison jaune fluorescent sortent. Le nettoyage est terminé. Vite, il faut avancer. Nous arrivons au bout de la ligne droite. Des files en diagonal pour la 2e partie de la Place St Pierre. Nous progressons rapidement cette fois. Deux banderoles ont été laissées sur la place. La première : « Grazie Papa ! », sous une statue. La seconde avec le prénom polonais du pape, « Karol ». Elle est fleurie. Des centaines d’inscriptions, des bouquets et des cierges entourent le pied de l’obélisque au centre de la Place Saint Pierre.

05h01 : Les dernières marches avant d’entrer dans la basilique Saint-Pierre. Un coup d’œil derrière nous. La via Della Conciliazione est noire de monde. Ceux qui sont au bout devront attendre très longtemps avant d’arriver ici.

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Nous arrivons au pied de la basilique Saint-Pierre. Derrière nous, un océan de fidèles poursuit le parcours. © Jean-Luc Mootoosamy/Media Expertise

05h05 : Nous sommes dans la Basilique. La nef centrale est divisée en deux pour permettre aux pèlerins de passer de chaque côté de l’autel et du corps de Jean-Paul II. A gauche et à droite de cette file, les pèlerins qui viennent de voir le Saint-père. Ils ont du mal à quitter les lieux. Certains bouleversés, ont les larmes aux yeux. Ils nous regardent avancer à notre tour.

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Nos yeux fatigués, mais heureux, voient le pape Jean-Paul II, entre 2 gardes suisses. © Jean-Luc Mootoosamy

05h17 : Le corps de Jean-Paul II est enfin visible. Le pape vêtu de rouge ne souffre plus. Sa crosse est à sa gauche. Les quatre gardes suisses autour de lui sont imperturbables dans leur uniforme bleu et orange. Personne ne parle. On entend juste le son de toutes sortes d’appareil photo et de téléphones portables. Les fidèles ont pratiquement tous les bras levés pour photographier cet instant unique. Et nous n’avons que quelques secondes pour cela. Même après sa mort, le pape est assailli de flashs. Derrière nous trois caméras de télévision filment en continu, pour le monde entier, cette scène intense et unique que nous vivons. Un cardinal approche du corps de Jean-Paul II et embrasse sa main. Impossible de faire cette photo. « Avancez, avancez » , demandent gentiment mais fermement le service de sécurité. Un homme éclate en sanglot. C’est un Polonais. Il se met à genoux et n’arrive plus à avancer. Cinquante secondes, c’est le temps que nous avons passé devant le pape.

Illustration 9
Un dernier regard sur le pape Jean-Paul II avant de quitter la basilique Saint Pierre. © Jean-Luc Mootoosamy

05h18 : Des dizaines de personnes sont à genoux dans la basilique St Pierre et prient, chapelet à la main. Certains se confessent auprès d’un prêtre, d’autres se retrouvent en groupes et méditent. Des centaines de cierges et de lampions sont allumés. Des hommes et des femmes ont les mains sur le visage et pleurent. D’autres sourient, sont dans la joie. « C’est notre Champion ! », lance un jeune. Chacun essaie de prolonger à sa façon cet instant à la basilique Saint-Pierre. Mais il faut partir et laisser la place aux autres qui arrivent. Une marée humaine incessante.

05h46 : Le soleil se lève sur le Vatican. Il fait toujours aussi froid. Les pèlerins laissent une trace de leur passage : un cierge, un mot de condoléances, un dessin, une fleur, une casquette portant le nom de leur région ou un drapeau. Personne ne se plaint de cette longue attente. Bien au contraire, ils encouragent ceux qui arrivent de loin. « Nous avons simplement rempli notre devoir envers cet homme exceptionnel », dit un Britannique.

06h00 : Nous quittons le Vatican. Un coup d’œil au pont Vittorio Emanuele II. Les pèlerins qui s’y trouvent seront les derniers à voir Jean-Paul II. L’entrée est maintenant fermée au public. Les centaines de Polonais qui viennent d’arriver ne pourront pas voir « leur pape ». Ils sont inconsolables. Pour nous c’est la fin du parcours et de cette nuit blanche. 15 heures d’attente. Des moments inoubliables.

Illustration 10
Des centaines de bougies, de mots de remerciements, de messages, laissés aux abords de la Place St Pierre de Rome, en hommage à Jean-Paul II.. © Jean-Luc Mootoosamy

(Week-end, dimanche 10 avril 2005)

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