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Billet de blog 6 avril 2023

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Un évêque peut-il dire ça ?

A Maurice, l'évêque de Port-Louis, le cardinal Maurice E. Piat, a lancé un pavé dans la mare dimanche dernier, lors d'une intervention télévisée pendant le Carême chrétien. Il a relevé les dangers qui pèsent, selon lui, sur la démocratie mauricienne. Le cardinal Piat a eu l'occasion d'en parler au premier ministre, Pravind Jugnauth. Une intervention qui n'a pas laissé indlfférent.

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Capture d'écran de l'enseignement de Carême du cardinal Maurice E. Piat, sur la Mauritius Broadcasting Corporation (chaîne nationale) le 2 avril 2023 © Mauritius Broadcasting Corporation

Soudain, ce dimanche 2 avril, au milieu d’une actualité faite d'affaires qui se succèdent, une voix écoutée, respectée, a résonné. Elle a résonné si fort, qu'elle a touché les têtes, les cœurs et secoué les cuisines politiques  Pour certains, le cardinal Maurice E. Piat, êvêque de Port-Louis, s’est fait proche des Mauriciens. Estimant la démocratie menacée, il a été porte-parole de ceux qui souffrent. Un message d'une force rare. Pour d’autres, il est entré sur le terrain réservé aux hommes politiques, et son aube de prêtre – sa robe – l’obligerait à ne pas se mêler de ces sujets. Car certains pensent encore qu’un religieux ne devrait pas dire ça. Sa fonction, à Maurice, serait uniquement de chanter les louanges des gouvernements du jour. S’il peut être utilisé comme recruteur ou parrain pour trouver des candidats aux élections, pourquoi pas, mais il n’a surtout pas à s’exprimer sur ce qu’il perçoit comme des dangers pour son pays et la population.

Les mots du cardinal Piat ont clairement embarrassé le gouvernement dans une période où des allégations, des enquêtes, des dossiers de corruption s'entassent. Alors, est-ce que le cardinal Piat est dans son rôle quand il demande « comment pourrons-nous avoir la paix dans une démocratie lorsqu’il y a un manque de respect pour la séparation des pouvoirs, quand certains se permettent de critiquer les décisions d’un magistrat, d’un DPP [Directeur des poursuites publiques] » ? Quelle est sa légitimité lorsqu’il dit « pleurer », « quand je vois que l’indépendance des institutions est menacée, que les fondations de notre démocratie sont ébranlées », quand il attire l’attention sur les familles brisées par la drogue ?

Le pape François, apporte des réponses à ces questions, expliquant ainsi la position de l’Eglise catholique. Le 3 février dernier, s’adressant aux évêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) à Kinshasa, il a indiqué ce qui était attendu de ceux qui ont « reçu l’appel » à être des pasteurs. Le contexte en République démocratique du Congo n’est pas le même qu’à Maurice mais les mots du pape sont pertinents dans notre réalité.

Prises de position et actions

« L'annonce de l'Évangile, l'animation de la vie pastorale, la conduite du peuple ne peuvent se réduire à des principes éloignés de la réalité de la vie quotidienne, mais doivent toucher les blessures et communiquer la proximité divine, afin que les personnes découvrent leur dignité de fils de Dieu et apprennent à marcher la tête haute, sans jamais s’incliner devant les humiliations et les oppressions », a dit le chef de l’Eglise catholique. Prenant en référence le prophète Jérémie dans l’Ancien Testament, il dit aux évêques qu’ils sont « appelés à continuer à faire entendre votre voix prophétique pour que les consciences se sentent interpellées et que chacun devienne acteur et responsable d'un avenir différent ».

François fait toutefois une mise en garde : « Mais attention, il ne s'agit pas d'une action politique ». La tâche des évêques et des pasteurs en général est « d’annoncer la Parole pour éveiller les consciences, pour dénoncer le mal, pour réconforter ceux qui sont affligés et sans espérance. » François met donc l’Evangile au centre de la mission de l’évêque : « Face au peuple qui souffre et face à l’injustice, l’Evangile exige que nous élevions la voix », insiste le pape.

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Le Premier ministre, Pravind Jugnauth et le cardinal Maurice E. Piat lors d'une conférence de presse conjointe en mars 2019 pour annoncer l'arrivée du pape François le 09 septembre 2019 à Maurice.

Cette vision de l’Eglise catholique, émise par le pape, est intéressante dans le partenariat entre Eglise et l'Etat mauricien. Chacun, avec ses qualités et défauts, garde une mission bien distincte avec des actions de l’Eglise qui s’inscrivent dans le quotidien des Mauriciens, dans des communautés. Elle touche cette souffrance et agit là où, parfois, l’Etat n’arrive pas à trouver des solutions, comme notamment avec des toxicomanes en réhabilitation.  L’église catholique s’implique, s’investit, parfois comme dernier recours, pour sauver les meubles. Lors des émeutes de février 1999, sans le cardinal Jean Margéot et le Président Cassam Uteem, l'apaisement n'aurait pas été possible. La Nation est redevable à ce partenariat entre un évêque à la retraite et un ched d'Etat. L’Eglise dans ses limites est aussi aux côtés de ceux qui sont rejetés, ceux qui ne savent où aller, les toxicomanes en réhabilitation, leurs familles. Son action est complémentaire de celle des gouvernements.

Pas de politique partisane. Etre proche du peuple, tout en travaillant avec des gouvernements qui se succèdent. Etre une des voix de ce peuple, pour le défendre. Des rôles qui ne peuvent pas faire l’unanimité mais qui sont attendus de l’actuel évêque et de son successeur. Il est là, dans a plaine, au service de ceux qui souffrent. L’évêque est un des soutiens qui les aident à porter leur croix.

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