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Billet de blog 25 nov. 2021

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Rangez la guillotine, M. le Premier ministre !

Ce vendredi 26 novembre 2021, le Premier ministre mauricien présente au vote un amendement de loi pour durcir les conditions de diffusion des radios privées. Il veut par la même occasion faire tomber le secret des sources des journalistes de ces radios. Ma lettre ouverte à Pravind Kumar Jugnauth.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

M. le Premier ministre, aucune colère, aucun agacement, aucun caprice, aucun « conseil » de votre entourage, ne saurait justifier ce que vous vous apprêtez à faire voter ce vendredi 26 novembre. En pleine pandémie de Covid-19, vous présentez un amendement bâillon pour étouffer le peu d’espace encore disponible à une parole libre à Maurice. M. Le Premier ministre, cet « Independent Broadcasting Authority (Amendement) Bill » que vous allez passer - flanqué d’un certificat d’urgence - est un acte de décès pour les ondes privées, pour la parole libérée, pour le journalisme. Vous voulez guillotiner ce qu’il nous reste de démocratie.

Quelle ironie M. Pravind Kumar Jugnauth ! En 2002, feu votre père, alors Premier ministre, disait que la libéralisation des ondes était une de ses plus belles réussites. Presque 20 ans plus tard, vous allez en devenir un fossoyeur.

M. Jugnauth, vous êtes le seul à pouvoir faire marche arrière. Ceux de vos rangs que cet amendement gêne ne vous le diront pas. Il faudrait être courageux. Et cela fait longtemps qu’il ont peint leur amour propre en orange. Cela vaut aussi pour quatre de vos honorables qui doivent aux radios une bonne partie de leur popularité supposée. Un recul n’est pas une honte. Vous montrerez que vous êtes vraiment capable d’accepter la contradiction, les avis contraires, la voix de certains opposants, que vous êtes au dessus de la mêlée. C’est dans votre intérêt.

Votre texte introduisant le concept de radio à durée déterminée les réduira au silence, à court terme. Vous faites passer le permis d’opération de trois ans à une année et doublez le coût du renouvellement.  Qui va pouvoir se maintenir sur le long terme dans un contexte aussi incertain, à moins de vous plaire ? Et s’il n’y avait que cela… vous voulez introduire l’impensable : faire tomber le secret des sources, base du journalisme, via des juges. Cet amendement qui entend proposer un « code d’éthique », empêcherait les journalistes d'exercer un devoir élémentaire que dicte la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, charte de Munich de 1971, qui demande de « garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ». M. Jugnauth, vous nous demandez de renier nos engagements !

Surprenez-nous, lancez un dialogue, trouvez des médiateurs acceptés, respectés. Il y en a. Oui il y a des abus, des dérapages. Les médias devraient arrêter d'être indulgents et mettre de l'ordre dans leurs rangs. Mais les lois actuels existent pour régler cela. 

Plus que jamais, notre population traumatisée par la pandémie a besoin d’information, d’une parole libre et - en passant - de l’application stricte de la loi régissant l’audiovisuel public, chaque soir violée (cela ne vous a probablement pas échappé) par certains de vos fidèles. Quel signal lancez-vous aux Mauriciens ? Quel message passez-vous à nos voisins - les Seychelles par exemple - qui prennent une direction totalement opposée à vos choix. Comment allez-vous être perçu par la communauté internationale ?

Des citoyens se mobilisent. Les radios privées se préparent déjà au combat légal. Il est clair que certaines antennes devront redevenir impartiales pour éviter que des manquements aux règles punissent l'ensemble du secteur. Sachez cependant M. Le Premier ministre que, quels que soient les obstacles que vous comptez imposer aux femmes et hommes de radio qui font ce métier avec leurs tripes, ils feront face. Nous ferons face. Le premier devoir d’un journaliste - et du média qu’il représente - est de « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ». Oui, M. le Premier ministre, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même.

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