Avertissement : le texte qui suit est un essai de politique-fiction, cependant nourri de faits réels. Mais un journaliste n’est pas tenu de dévoiler toutes ses sources.

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Le 24 février dernier, Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon (ici nommés par ordre alphabétique) se sont enfin rencontrés, en tête-à-tête et huis clos, au premier étage du restaurant Moai Bleu, dans le 20ème arrondissement de Paris. Sur le site Diacritik, Johan Faerber a narré l’avant et l’après de cette rencontre au sommet. Mystère et boule de gomme, en revanche, sur les « tractations » dont la salle du rez-de-chaussée n’a hélas rien entendu. Le candidat autoproclamé de la France soumise et celui désigné par les électeurs de la primaire de gauche ont paraît-ils conclu un « pacte de non-agression ». Ce n’est pas seulement un pacte, mais une véritable alliance ; pas tout à fait celle, pourtant qu’appelaient de leurs vœux celles et ceux qui souhaitaient un rassemblement de la gauche au premier tour de l’élection présidentielle. Un petit micro de souris opportunément laissé au premier étage du restaurant Moai Bleu permet aujourd’hui de dévoiler le contenu de cette alliance.
Mais avant cela, petit retour sur images. Jean-Luc Mélenchon fut le premier à partir en campagne, sans passer par les fourches caudines d’une consultation élargie au Parti communiste et aux composantes du Front de gauche. Pourquoi une telle précipitation ? En juin 2012, Jean-Luc Mélenchon a vécu comme une humiliation personnelle le fait de perdre son combat dans la circonscription de Hénin-Beaumont contre Marine Le Pen. Il en tint pour responsable le Parti socialiste qui non seulement, ne l’avait pas soutenu, mais avait de surcroit maintenu un candidat, Philippe Kemel, qui s’offrit même le luxe de devancer Jean-Luc Mélenchon au premier tour (23,50 % contre 21,48%). Un temps dégoûté, vaincu par le blues post-électoral, Jean-Luc Mélenchon envisagea même de se retirer de la vie politique. Mais on n’abat pas ainsi un arbre qui est enraciné dans le système politique depuis son plus jeune âge (à partir de son engagement à l’UNEF, à 18 ans), hormis une brève « carrière professionnelle » de professeur et de journaliste. Une fois retrouvée la niaque, Jean-Luc Mélenchon s’est promis d’en découdre avec… le Parti socialiste. Lorsqu’il s’est fixé comme horizon la prochaine élection présidentielle, Mélenchon était persuadé que François Hollande allait se représenter. Il ne voulait pas perdre de temps en laborieuses négociations avec les composantes du Front de gauche. Ainsi fut lancée la France soumise, avec comme moteur de guerre (pas très éloigné de ce qu’a réussi Donald Trump aux États-Unis) les réseaux sociaux.
Benoit Hamon, de son côté, voulait peser dans la primaire socialiste. Il ne s’imaginait pas la remporter. Cela pourtant est advenu. Benoit Hamon a très vite appris à prendre confiance en lui-même (cette mue s’est vue, pour qui sait voir, pendant la campagne des primaires), mais il n’a pas encore endossé l’étoffe d’un possible chef d’État. Lors de la conférence de presse commune avec Yannick Jadot, pendant que s’exprimait l’ex-candidat écologiste justifiant son renoncement, Hamon souriait et frétillait comme un gamin de cour de récréation fier de son coup, mais pas assez sûr de lui pour prendre la place du directeur de l’école. Et s’il a fait entrer dans son équipe de campagne des personnalités issues de la « société civile » (détestable expression), les maîtres de maison de la vieille bâtisse bourgeoise « parti socialiste » n’ont pas dit leur dernier mot et ne sont pas tout à fait prêts à laisser le gringalet décider de la couleur de la moquette, de la composition du menu, et de la liste d’invités susceptibles de participer au buffet.
Benoît Hamon ne peut pas se retirer, Jean-Luc Mélenchon ne veut pas se retirer. Point barre. La gauche divisée court à la défaite, elle le sait. Peu importe, se disent-ils. Et même pire : « et si la défaite était notre chance », se disent-ils. La campagne de Benoît Hamon peine à trouver un second souffle, paraît-il. Et pour cause. A titre d’exemple : le job n’est pas encore terminé (loin s’en faut), l’équipe de campagne est débordée, que d’ores et déjà Mathieu Hanotin, député de Seine Saint-Denis et codirecteur de ladite campagne, a commencé à mobiliser le temps qu’il n’a pas pour lancer sa propre campagne des législatives.
Pour pallier le défaut d’appareil politique qu’ils ont l’un et l’autre, chacun des candidats de gauche tente d’appeler à la rescousse la « société civile ». Benoit Hamon a lancé son « conseil citoyen », plate-forme collaborative où tout un chacun peut déposer ses propositions. Initiative éminemment sympathique, même si elle relève surtout, pour l’heure, d’une sorte de mix entre le catalogue de La Redoute et un inventaire à la Prévert ; il est de surcroît impossible de prendre connaissance de toutes les contributions. La plate-forme de la France soumise semble a priori plus vertueuse. Mais en allant sur le site de la France soumise, il n’est pas question d’adhérer à un mouvement collectif, mais de « soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon ». Les propositions contenues dans « L’Avenir en commun » sont paraît-il le fruit d’un long processus de contributions déposées sur Internet. En réalité, le plus grand flou entoure la façon dont les contributions ont été sélectionnées, puis validées.
Tout se passe comme si Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon cherchaient à se parer des vertus de la délibération et de la construction citoyennes, sans véritablement y croire tout à fait, ni donner ses chances à la citoyenneté de s’exercer pleinement. C’est qu’une autre stratégie est à l’œuvre, celle-là même qui a fait l’objet d’une alliance entre Hamon et Mélenchon, au soir du 24 février. À partir du moment où ils refusent de se rassembler, ils actent l’un et l’autre que la voie de l’Élysée est ouverte pour Marine Le Pen. Pas grave, pensent-ils, l’important c’est l’après. Ils pensent qu’une victoire de Marine Le Pen à la présidentielle ne garantirait pas pour autant une victoire de l’extrême droite aux élections législatives qui suivront. Et quand bien même cela se produirait, il restera le Sénat, se disent-ils. Sans parler des grèves, blocages, manifestations de rue, qui empêcheraient Marine Le Pen d’exercer le pouvoir. S’ouvrirait-alors, au risque d’une forme de guerre civile d’un nouveau genre, une crise de régime qui empêcherait la France d’être gouvernée quelques mois. À l’issue de cette crise, qui, de Benoît Hamon ou de Jean-Luc Mélenchon, incarnerait l’homme providentiel capable de rassembler la gauche ? Tel est désormais l’enjeu, pour l’un et l’autre, du premier tour de l’élection présidentielle. Lequel des deux devancera l'autre ? Et nous voilà, simples électeurs, spectateurs d’un scénario foireux et désastreux, à nouveau pris en otage par le pire de la pire politique politicienne.
Des alternatives, il en existe pourtant. Comme le disait récemment une amie : « ça manque de femmes. Et la seule qui soit en lice et qui ait des chances d’être élue, est repoussante. Pour ma part, je n’ai qu’une seule candidate : la citoyenneté. Elle ne se présente pas ? Pourtant, nous la représentons déjà. » De fait, dans la continuité de Nuit Debout (et pas seulement), de multiples collectifs citoyens irriguent l’ensemble du territoire, jusqu’en ses banlieues et autres zones rurales délaissées. Comment faire advenir des « jours heureux » ? Nombreux sont celles et ceux qui s’y emploient déjà. Les 13 et 14 février derniers, le collectif Les Jours Heureux (justement) a réuni à la Bergerie de Villarceaux (Vexin) une cinquantaine d’organisations et associations pour produire un fond politique commun afin d’interpeller les candidats aux élections présidentielles et législatives, afin de proposer des « mesures « basculantes » qui pourraient exercer un effet de levier sur la vie sociale et politique une fois mises en œuvre (lire ici l’article sur Gazette debout). La citoyenneté qui vient, levier de la politique qui vient ? (sans Hamon ni Mélenchon).