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Billet de blog 5 mai 2021

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Colombie : la France approuve le massacre en cours

Déjà des dizaines de morts, notamment à Cali. L'ONU condamne. La France (Macron, Castex, Le Drian), complice, ne dit rien. Enormes manifestations prévues ce 5 mai. Nouveau bain de sang en vue. Pourtant des raisons d'espérer.

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4 mai 2021, minuit (17 h en Colombie)

« Un pays qui sème des cadavres ».

Illustration 1

Pour avoir voulu diffuser cette photo d’une performance, ce jour à Ibagué (capitale musicale de la Colombie), mon compte Facebook a été bloqué pour 3 jours. Compte sur lequel j’informais de la situation en Colombie, où un véritable massacre est en cours. L’armée tire sur la foule, déjà des dizaines de morts, notamment à Cali, épicentre de la contestation. En plus des morts, des disparitions inquiétantes, des viols et abus sexuels commis par les forces de police.

(voir mon précédent article de blog https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-adolphe/blog/030521/nuit-sanglante-en-colombie)

Aujourd’hui, l’ONU a parlé. Ce mardi 4 mai, l’Onu a fermement condamné “l'usage excessif de la force” par la police lors des manifestations contre la réforme fiscale en Colombie, notamment à Cali, dans l'ouest du pays, où plusieurs personnes ont trouvé la mort sous les balles ». Marta Hurtado, porte-parole du Haut commissariat aux droits de l’Homme, a déclaré lors d'un point de presse de l'Onu à Genève : “Nous sommes profondément alarmés par les événements dans la ville de Cali en Colombie, où la police a ouvert le feu sur des manifestants qui s'opposent à une réforme fiscale, tuant et blessant un certain nombre de personnes selon des informations disponibles”. Lire ICI

A Bruxelles, l'UE a jugé "prioritaire de mettre un terme à l'escalade de cette violence et d'éviter tout usage disproportionné de la force par les forces de sécurité". Les Etats-Unis ont appelé à la "plus grande retenue de la part de la force publique afin d'éviter d'autres pertes de vies".  Amnesty International a demandé à mettre "fin à la répression des manifestations" et à "la militarisation des villes".

Côté gouvernement français / ministère des Affaires étrangères : TOUJOURS RIEN !!!

Ah si, ce jour, mail envoyé aux ressortissants français par l'Ambassade de France à Bogota :

De: BOGOTA-AMBA Cslt <cslt.bogota-amba@diplomatie.gouv.fr>

Asunto: Troubles sociaux en Colombie : message de l’Ambassade

Fecha: 4 de mayo de 2021, 9:21:37 a. m. COT

Madame, Monsieur, chèr(e) compatriote,

Dans le contexte de tensions sociales que connaît actuellement la Colombie, et alors même que l’épidémie de Covid 19 atteint un nouveau pic dans le pays, l’ambassade reste mobilisée pour votre sécurité.

Notre recommandation est de vous tenir à l’écart des rassemblements, et de signaler vos éventuelles difficultés à votre chef d’ilot, qui en province est également votre consul(e) honoraire. »

Voilà. Macron ? Rien ? Le ministère des Affaires étrangères, contacté par mail lundi matin ? Rien.

Donc, quand le peuple colombien appelle la communauté internationale à l’aide (« SOScolombia, nos estan mantando), la France approuve le massacre en cours. Qui ne dit mot consent.

Ce mercredi 5 mai, d’immenses manifestations vont avoir lieu à travers tout le pays. Et sans doute un nouveau bain de sang.

Pourtant des raisons d’espérer.

Le mouvement de protestation né en Colombie le 28 avril contre le projet de « reforma tributaria » (réforme fiscale) ne s’est pas éteint. Pourquoi vouloir taxer encore un peu plus les plus pauvres, déjà financièrement étranglés ? Cela me rappelle l’histoire d’un roi lointain qui convoque son ministre des finances, et lui dit en substance :

-« Les finances du royaume sont fort dégradées, or je veux lever une nouvelle armée. Que me proposez-vous ? »

Le ministre des finances : « Sire, je vous propose de créer un nouvel impôt sur les pauvres ».

Le roi : « Mais s’ils sont pauvres ? »

Le ministre des finances – « Certes, sire, mais ils sont nombreux ».

Voilà, ça c’est l’état d’esprit du président colombien Ivan Duque, chef de file de la caste la plus corrompue qui soit, digne héritier de l’ex-président Alvaro Uribe, parrain notoire du narcotrafic et de groupes paramilitaires parmi les plus sanglants du pays.

Dans ce contexte, quelles raisons d’espérer ? Malgré le bain de sang répandu à Cali, les violences policières aujourd’hui fermement condamnées par l’ONU le mouvement de protestation continue et s’étend : gigantesques manifestations prévues ce 5 mai.

Dans ce mouvement, la jeunesse est en première ligne (et en paie le prix fort). Lorsque j’étais en Colombie, voici 4 ans, face à telle ou telle situation que je jugeais anormale ou injuste, j’ai souvent entendu : « Es asi… » / C’est comme ça. Un certain fatalisme résigné lié à un sentiment de peur fort légitime, si l’on compte le nombre de leaders sociaux, environnementaux, indigènes, féministes, assassinés par des paramilitaires (encore maintenant). Ce qui est nouveau, là, c’est que la jeunesse colombienne ne se résigne pas, et dans la foulée, le peuple colombien a laissé la peur au vestiaire.

Avant-hier est reparu dans « El Tiempo » (grosso modo l’équivalent du « Monde » en Colombie) une formidable tribune du journaliste et chroniqueur Adolfo Zableh Duran, en date d’octobre 2018, « Que rompan todo » En voici une rapide et imparfaite traduction :

« Qu'ils cassent tout !

Laissons les étudiants marcher et briser le pays que nous avons créé.

Laissez les étudiants manifester et tout casser. Pas seulement des fenêtres et des façades, des bus et les stations du TransMilenio, qu’ils brisent le pays que nous avons créé. Laissez-les le casser, même s'ils ne sont pas des étudiants mais des vandales déguisés en étudiants. Qu'ils bloquent les routes et attaquent les propriétés est un dommage mineur par rapport à tout le mal que nous leur avons fait.

Qu'ils brisent la Maison de Nariño et le Congrès, sans dégoût. Entrez-y et détruisez tout. L'éducation est ce qui vous permet d'aller de l'avant, de décider consciencieusement, de gérer votre propre vie, d'avoir des opportunités. Les politiciens le savent, c'est pourquoi ils ne vous donnent pas l'éducation qu'ils promettent tant; ils ont besoin de soldats obéissants et d'électeurs aliénés. Qu'ils effacent alors de leurs visages ce sourire opportuniste, cette pose de rédempteurs, quand tout ce qu'ils ont fait est de nous plonger dans la pauvreté.

S'il n'y a pas d'argent pour l'éducation, c'est parce qu'il est volé, parce qu'il faut acheter des fermes, bien s'habiller et marcher avec des escortes, commettant toujours des crimes avec la loi de leur côté. Celui qui est marginalisé croit alors qu'il n’y a pas de solution pour lui, et avec ses maigres outils, il choisit la violence. Celui qui est fortuné, par contre, se pose comme correct pendant qu'il nous saigne. L'éducation et la santé, les retraites et les travaux de génie civil ont été volés.

Puissions-nous tous tomber si cela sert à créer une société meilleure. Laissez-les brûler votre maison et la mienne, nous ne sommes responsables de rien, mais oui. Nous nous croyons bons et nous sommes plutôt passifs, pragmatiques. D'un autre côté, personne ne peut être obligé d'être un activiste politique ou de changer l'establishment, mais dans cette vie, nous avons choisi la voie la plus facile, et cela, nous devons le payer, même si c'est peu. Personne ne veut sortir dans la rue et se faire casser la tête ou une vitre simplement parce qu'il se trouve au mauvais endroit et au mauvais moment, alors si vous le pouvez, prenez soin de vous pour ne pas être affecté par ces choses. Mais si cela arrive, ce ne sera ni bon ni mauvais, ce ne sera rien de plus que la vie faisant sa chose, la loi de l'action et de la réaction, à laquelle personne n'échappe.

Il est facile de parler étudiants inadaptés alors que c'est plutôt la société sauvage, inégale, quoi est inadapté. Ils ne sont que la conséquence du système que nous avons créé. Quand il y a des émeutes, nous sortons comme des vierges indignées pour dire que ce sont sont des hooligans, mais nous ne faisons pas grand-chose pour y remédier. Cela se passe dans le football: ils tuent un fan ou attaquent le bus d'une équipe avec des pierres, et on répète le discours selon lequel ce sont quelques marginaux qui gâchent la fête. C'est un mensonge, il n'y en a pas quelques-uns, c'est tout le football qui a tort. C'est l'une des entreprises les plus corrompues qui existe et nous nous y sommes livrés, heureux et aveugles, simplement parce que cela rend nos après-midi heureux. Que le monde brûle et que quelques-uns meurent, nous ne nous en soucions pas; nous voulons juste crier : « goaaaaal ».

Les bonnes personnes, il n'y en a pas, utilisent ces inadaptés comme ils utilisent les pauvres. Aux premier, pouvoir se plaindre; aux seconds, le fait de sentir qu'ils font une bonne action. Il est plus facile de s'exprimer, de lever des fonds et d'organiser des œuvres caritatives que de résoudre les problèmes du monde. Si nous étions une société avec des possibilités pour tous, nous pourrions parler de marginaux, mais dans un pays comme la Colombie, il s'agit de personnes que nous avons laissées pour compte, sans opportunités et sans voix, qui réagissent de manière incendiaire à la première occasion.

Que les étudiants et les vandales manifestent, tous confondus sans savoir qui est qui, pour voir si on fait d'une pierre deux coups. Laissez-les faire des ravages et, s'ils le veulent, nettoyer et réparer plus tard, comme beaucoup l'ont fait lors des marches de mercredi dernier, mais faites quelque chose de radical. Laissez-les tout casser pour pouvoir rebâtir. »

Demain, déjà ce jour, 5 mai, énormes manifestations à travers toute la Colombie.

Photo, hier, à Ibagué, capitale musicale de la Colombie. Un peuple de lucioles

Illustration 2

Colombia necesita ayuda

https://www.facebook.com/JotaPeHernandez/videos/490866622117566

Ce qu'aimeraient voir nos amis colombiens

Illustration 3

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