Fraichement élu à la Présidence de la République, lors d’une petite virée au festival d’Avignon avec sa ministre de la Culture et de la Communication de l’époque (Aurélie Filippetti), François Hollande avait annoncé qu’il était « à la recherche d’un grand projet culturel » qui devait marquer son quinquennat.

Agrandissement : Illustration 1

Les mois ont passé, on n’a rien vu venir. Mais voilà qu’en fin de quinquennat, François Hollande semble enfin avoir trouvé ce « grand projet culturel », et il est certain que le quinquennat du « président normal » va en être indélébilement marqué, pour ne pas dire entaché : nous voulons parler de l’introduction de la publicité commerciale sur les ondes de Radio-France. Le décret autorisant cette « forfaiture » a été publié au Journal Officiel ce mercredi 6 avril 2016. Le jour même où le Parlement pénalisait la prostitution, le gouvernement autorisait donc… la prostitution publicitaire du service public de Radio-France.
Cette décision est le résultat d’un intense lobbying de Mathieu Gallet, l’homme des « folies dépensières » : outre l’affaire des boiseries et moquette de son bureau de P-D.G de Radio-France, Le Canard enchaîné révélait en décembre dernier que « dans le cadre d’une enquête préliminaire pour favoritisme ouverte le 4 juin 2015 par le parquet de Créteil, la brigade de répression de la délinquance économique examine des marchés de conseil et communication passés pour 1,17 million d'euros », à l’époque où Monseigneur Gallet présidait l’Institut National de l’Audiovisuel…
Dans un passé récent, le groupe Radio-France a été condamné pour violation de son cahier des charges et missions de service public.
Malgré cela, Radio France a diffusé de nouveaux messages publicitaires de marque sur les antennes de France Bleu, s’attirant en janvier 2016 les foudres du Sirti (Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes), qui dénonçait « des faits avérés de concurrence déloyale envers les radios privées commerciales qui déstabilisent les marchés publicitaires locaux et nationaux et pour lesquels Radio France ne tient pas compte des mises en cause successives du CSA et du tribunal de commerce. » ( http://www.lalettre.pro/Nouvelle-condamnation-pour-Radio-France_a9546.html )
Quand on est honnête, on tâche de se conformer à la loi. Quand on a une âme de délinquant récidiviste, comme Mathieu Gallet, on passe outre, et de deux choses l’une : si on est un petit « voyou de banlieue », ça finit généralement en prison. Mais si on partage la table des puissants, on s’estime naturellement au-dessus des lois, et pour ne plus être embêté par de minables procès qui pourraient faire la une des gazettes, on s’active pour changer la loi. Celle concernant Radio-France, c’était quand même un gros morceau : la publicité commerciale y est interdite depuis…. 1986. La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 stipulait en effet que « seule la publicité collective et d’intérêt général est autorisée sur les antennes de Radio France » (article 32). Déjà que l’on ne voyait pas très bien en quoi que le matraquage des réclames débiles de la Matmut (par exemple) pouvait concerner « l’intérêt général », cette limitation n’était pas suffisante pour Mathieu Gallet : il fallait ouvrir toutes grandes les mannes de la publicité ouvertement commerciale.

Agrandissement : Illustration 2

Motif invoqué : le déficit de Radio-France. Logiquement, un « patron » qui ne sait pas tenir les comptes de la maison publique dont il a la charge devrait être amené à dégager dans les meilleurs délais. (Rappelons qu’en avril 2015, la Cour des comptes avait établi un diagnostic sévère de la gestion de l’entreprise). Là, non. Il faut dire que l’Etat se sent un peu fautif… Le 9 décembre 2015, dans le rapport d’information remis à l’Assemblée nationale par la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens 2015-2019 de Radio France, la rapporteure, Martine Martinel (députée PS de Hauute-Garonne), regrettait certes la dissimulation, par la présidence de Radio-France, de la situation réelle des comptes, en précisant : « En décembre 2013, Radio France avait présenté à son conseil d’administration un budget pour 2014 à l’équilibre et n’a averti ses tutelles de la gravité de la situation financière qu’au cours de l’été 2014. La rapporteure, qui, dans son avis d’octobre 2014 sur les crédits en faveur de l’audiovisuel dans le projet de loi de finances pour 2015, s’est intéressée à la situation de Radio France, n’a malheureusement pas été informée de l’état de la situation financière de l’entreprise. » Elle précisait toutefois, en toutes lettres et en tous chiffres, l’origine du « déficit » de Radio-France : « Le contrat 2010-2014 prévoyait une augmentation de la ressource publique de 16,4 % entre 2009 et 2014. Une telle augmentation était de toute évidence incompatible avec la situation des finances publiques. Les versements ont donc été inférieurs de 8,6 millions d’euros inférieurs aux chiffres du COM [contrat d’objectifs et de moyens, qui lie l’Etat et Radio-France] en 2012, puis de 31,3 millions en 2013 et de 47,8 millions d’euros en 2014. Cette révision de la trajectoire financière ne s’est pas accompagnée d’un avenant au COM et d’une identification des économies à réaliser. La dégradation de la situation financière résultant d’un effet de ciseau entre les ressources et les dépenses (une évolution dynamique des charges salariales à laquelle s’est ajouté l’impact de l’amortissement des investissements du chantier de réhabilitation) a ainsi pu passer inaperçue. » ( http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3321.asp )
Résumons, et pas besoin d’avoir bac plus 5 pour comprendre la situation : d’un côté, 23,5 millions d’euros de déficit cumulé pour Radio-France en 2014 et 2015. Mais de l’autre : 87,7 millions d’euros de ressources manquantes du fait du non-respect par l’Etat du contrat d’objectifs et de moyens qu’il avait signé. En clair : fin 2015, Radio-France aurait dû afficher un exercice positif de… 64,2 millions d’euros ! Avec un tel pactole, Mathieu Gallet pourrait changer de moquette tous les six mois, et accessoirement, financer des programmes de qualité et de vrais reportages d’investigation, sans même parler des investissements nécessaires pour le chantier de la mutation numérique, qui devrait amener à l’avenir de nouvelles ressources. Au lieu de cela : plan social et basses manœuvres pour faire entrer dans la bergerie du service public le loup de la publicité commerciale. Pour en arriver là, aucun débat parlementaire (c’est fou tout ce que « l’état d’urgence » et ses produits dérivés -cf débat sur la « déchéance de nationalité »- permet de faire passer en catimini), tout juste une mascarade de « consultation publique » d’un mois, lancée dans la plus grande discrétion en octobre 2015, et dont le gouvernement a oublié de faire la… publicité !
Une pétition a certes été mise en ligne tardivement, réunissant à ce jour 3.762 signatures ( https://www.change.org/p/tous-ceux-qui-disent-non-%C3%A0-la-pub-sur-radio-france-non-%C3%A0-l-arriv%C3%A9e-de-la-publicit%C3%A9-sur-les-radios-publiques ) et de nombreux commentaires d’auditeurs excédés qui annoncent, dans ces conditions, leur prochaine désertion des ondes de France Inter et autres stations de Radio-France. Certes, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a quelque peu tempéré les ardeurs du privatiseur Mathieu Gallet. Ainsi, selon le décret gouvernemental, « le temps maximal consacré à la diffusion de messages publicitaires ne pourra excéder dix-sept minutes par jour en moyenne par trimestre civil », toute publicité pour des boissons alcoolisées de plus de 1,2 degré est interdite (aucun problème, donc, pour Coca Cola et consorts), etc, etc. Le médiateur de Radio-France, Bruno Denaes, saisi par de très nombreux auditeurs, se montre rassurant ( http://mediateur.radiofrance.fr/article-non-la-pub-ne-va-pas-envahir-les-antennes-de-radio-france ) et se réfugie derrière les déclarations de la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, qui disait benoîtement au Parisien le 15 mars 2016 : « Il n’y aura pas plus de publicité sur Radio France. C’est très important pour le confort des auditeurs et c’est la spécificité de la radio publique de ne pas avoir de tunnels de publicités. » A qui fera-t-on prendre pour des lanternes de telles vessies ?
Rappelons en effet que les recettes publicitaires occupent une faible part dans le budget de Radio-France. Sur un budget total de 690 millions d’euros, 42 millions proviennent de la publicité, soit seulement 6 %. A qui fera-t-on-croire que, selon le texte de la « consultation publique », « moderniser le régime publicitaire en l’ouvrant à tous les annonceurs par souci de sécurité juridique, tout en maintenant stable le volume de ressources par un plafonnement de la durée horaire inscrite dans le cahier des missions et des charges du groupe radiophonique public » n’aurait pour objectif réel que de « stabiliser les recettes publicitaires » pour atteindre « l’équilibre économique de Radio France » ? Etait-ce bien nécessaire, dans ces conditions, de bousculer la loi de 1986, et d’entériner de la sorte un nouveau renoncement majeur, culturel et politique, aux valeurs du service public ? On en reparle dans un an ou deux… Il y a fort à parier Mathieu Gallet ne se contentera pas de cette première victoire à la hussarde, et continuera son travail de lobbying pour étendre les dispositions du décret qui vient d’être publié au Journal Officiel, quitte à prendre d’ores et déjà quelques « arrangements » par rapport aux misérables contraintes qui lui sont fixées.

Et continuons le jeu de massacre. Voilà qu’arrive sur le bureau d’Audrey Azoulay, pour la énième fois, un dossier qui concerne d’ailleurs plutôt le ministère du Travail et de l’Emploi : celui des intermittents. En parfaite osmose avec le Medef, la CFDT va répétant (depuis 2003, on a l’habitude) que « les salariés n’ont pas vocation à financer la politique culturelle française. » C’est vrai, ça : au nom de quel passe-droit privilégier la culture plutôt que l’ignorance ? En ces temps d’état d’urgence budgétaire, un artiste, Mark Etc, vient d’avoir une brillante idée, et de lancer une pétition qui a d’ores et déjà recueilli… 22 soutiens ! « La publicité ne nous a jamais déçu. Intensément hydratante, hautement performante, la publicité renforce notre esprit critique, éclaircit notre teint, préserve notre capital jeunesse, renforce notre système héréditaire. Depuis le nouveau décret régissant les règles de publicité sur les ondes de Radio France et qui se caractérisent principalement par l’ouverture de la publicité à l’ensemble des secteurs économiques, disons-le franchement, Madame la Ministre de la culture, nous saluons votre audace et vous enjoignons à étendre cette disposition au spectacle vivant afin de moderniser et soutenir un secteur qui n’a guère évolué depuis Charles Dullin et Jeanne Laurent. Inspirés par l’exemple flamboyant de la publicité sur Radio-France, nous demandons à travers cette pétition que le gouvernement adopte un décret afin que le Festival d’Avignon et l’ensemble des théâtres et établissements nationaux mais aussi les compagnies nationales et programmes conventionnés puissent s’enrichir à leur tour de messages publicitaires au cours de leurs spectacles. »( https://www.change.org/p/audrey-azoulay-vive-la-publicit%C3%A9-au-festival-d-avignon-et-dans-le-spectacle-vivant )
Selon nos informations, le Qatar, par exemple, serait vivement intéressé : marre, en effet, de payer le prix de fort pour des équipes de foot même pas capables de se qualifier pour la finale de la Coupe d’Europe ! Et franchement, lorsque les acteurs des Pièces de guerre, d’Eschyle, qu’Olivier Py va mettre en scène cet été dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, devront tous arborer un maillot aux couleurs de Fly Emirates, est-ce que ça va changer quelque chose au texte ? Non… Ben alors, il est où, le problème ?