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Billet de blog 7 mai 2020

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Un Président fort minable.

Hier, Emmanuel Macron a fait vidéocauserie avec une dizaine d’artistes avant d’annoncer… trois fois rien. Tout en rassurant les intermittents (et eux seuls) sur la prolongation de leurs droits, il a enjoint les artistes à « libérer leur énergie créatrice » et à « enfourcher le tigre ». Quel programme ! On préférera relire ce que disait Bernard Noël en 1987, lors des États généraux de la culture.

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Illustration 1

« CULTURE : Monsieur le Résident de la République, cet oubli de vous-même, réparez-le ». Dans une précédente tribune (ICI), j’incitais Jupiter à renouer avec quelques-unes de ses déclarations de campagne sur la culture. Mais c’était juste du bla-bla pour faire genre.
On a un Président fort minable. Il est capable de passer 3 heures (voire plus), alors qu’il a (imagine-t-on) un agenda surbooké, pour vidéocauser avec une dizaine d’artistes ! Il s’est surtout écouté lui-moi-que-je, bon d’accord. Il n’a rien entendu de ce que les artistes avaient éventuellement à lui dire, bon d’accord. Brigitte lui fera un petit résumé ce soir.
Soyons juste : les intermittents ont obtenu ce qu’ils voulaient. Leurs droits seraient « prolongés d’une année, jusqu’à fin août 2021 ». Dans les détails (encore inconnus), faudra voir. On peut compter sur Muriel Peigne-Nigauds, l’ex-boss de Business France, pour tailler à la serpe tout ce qui pourra l’être. Et ça ne concerne que les intermittents (en gros, 100.000 personnes). Les 1,84 million de foyers qui touchent le RSA en France (dont je suis, à 490 € / mois) n’ont pas trouvé leur Juliette Binoche pour faire savoir à Jupiter qu’ils existent. Et quand les intermittents gagnent un an de prolongation, les soignants auront dû se contenter d’une prime unique de 500 €. C’est que, ma brave dame, la culture, c’est important.
Alors, comme ça, Macron, il a plein d’idées. Il va lancer un « grand programme de commandes publiques » auprès de divers métiers du secteur culturel. Commande publique ? Cela sent l’usine à gaz : « La commande publique est l'ensemble des contrats passés par une personne publique pour satisfaire ses besoins. C'est une notion très large qui englobe plusieurs formes de contrats tels les marchés publics, les délégations de services publics, les contrats de partenariat public/privé. »

Pas grave : les artistes n’auront qu’à « libérer leur énergie créatrice ». Avant, c’est bien connu, elle était brimée, mais grâce à Saint-Macron :youp là boum ! Elle est pas belle, la vie ?
Et si ça ne suffit pas, il n’y aura qu’à « enfourcher le tigre » ! Même chez Pinder, il n’y a plus d’animaux, mais bon… Enfourchons, enfourchons… Sans doute une allusion au Dictionnaire érotique moderne d’André Delvau, de 1864 (que Sibeth Ndiaye consulte abondamment depuis qu’elle ne peut plus se marrer avec Benjamin Griveaux) :
« Quand une femme a bien fait la patte d’araignée, collé un joli bécot sus le bout du vit d’un homme, quand, enfin, elle a usé de toutes les gamineries capables de le faire bander, elle n’a plus qu’à s’enfourcher sur le glorieux priape façonné par elle, — pour elle. — Alors : Hue ! dada !… notre gamin allant au trot, puis au galop : patatrot, patatrot ! — comme s’il sautait sur les genoux de son grand-père, — se bourre le vagin à sa fantaisie, jusqu’à ce que plaisir s’ensuivant, le cavalier tombe épuisé sur sa monture. »

Le réquisitoire de Vincent Lindon

Enfin un artiste (et un grand !) qui ne se préoccupe pas d'abord de la culture, des tournages annulés, des festivals annulés, des théâtres fermés, etc. Hier sur Mediapart, un réquisitoire brillant (hélas brillant) signé Vincent Lindon. A partager sans modération : ICI.

Illustration 2
Bernard Noël chez lui, en mai 2016. © Jean-Marc Adolphe

Bernard Noël et la « captation mentale »

Toujours sur Mediapart, Patrice Beray relaie sur son blog un vif entretien avec Bernard Noël : ICI.
Bernard Noël a été, avec Jack Ralite, l’un des initiateurs des Etats généraux de la culture, lancés le 9 février 1987 au Théâtre de l’Est parisien.
Extraits de quelques textes écrits ou lus dans le cadre des États généraux de la culture.
« Mais que couvre le mot culture ? Certainement pas un domaine spécialisé ni des activités élitaires. La culture est la vie entière, c'est-à-dire la vie dans le moment où elle réalise sa propre unité en ne séparant plus travail et loisir, quotidien et pensée, plaisir et connaissance, amour et obligations sociales.
La culture n'est donc pas un produit : elle est l'acte par lequel nous fusionnons tous les composants de notre vie qu'on a différenciés en oubliant que leur ensemble constitue notre expression. Nous souffrons tous d’une frustration fondamentale lié au fait que nos actes vitaux, à commencer par le travail, sont privés de la créativité qui les rend générateurs de sens. »
(« Pour la culture », texte pour les États généraux de la culture au Théâtre de l’est parisien, 17 juin 1987)
« Contre le progrès de la froideur, il n'y a pas d'autre recours que le geste de l'incarnation et la présence qu'il suscite. C'est une vieille leçon, et qu'il faut bien sûr interroger. L'art n'est pas uniquement l'art, sinon sa disparition n'aurait qu'une importance relative : l'art est le terme sur lequel nous désignons une activité dont l'exercice permet à l'espèce humaine d'affronter sa mortalité, afin de tirer de cet affrontement même un surcroît de vie et de durée. Pour une espèce qui prétend tout devoir à la raison, ce geste a quelque chose d'insensé, y compris dans son résultat qui est de détruire la destruction. Mais il n'y a pas si mal réussi puisqu'au bout de quelques millénaires il a fini par doubler notre monde naturel d'un monde hybride obtenu par un croisement dont l'art est justement le produit le plus significatif.
Les formes aujourd'hui dominantes censurent ce processus : leur fonction politique est de répandre l'insignifiance comme esthétique de la consommation. L'Art officiel a remplacé le questionnement et la provocation par la marchandise culturelle : il l'emballe bien sûr dans un bavardage savamment vide . »
(« L’Art officiel », paru comme introduction aux Peintres du désir, Belfond, 1992)
« A aucune époque, on n’a autant parlé de « communication » : nous avons même quitté l'ère de la consommation pour entrer dans celle de la communication. S'il n'existe pas de culture sans communication, il n'y a plus ni communication ni culture quand l'une et l'autre servent seulement de prétexte à un commerce dont l'unique sens est de faire de l'argent. (…) Vendre la communication, c’est en faire une chose parmi les choses ; c'est nous réduire à consommer de la marchandise là même où nous avions cru rêver, aimer où penser. »
(« Pour la culture », texte pour les États généraux de la culture au Théâtre de l’est parisien, 17 juin 1987)
Ce dernier texte évoque la privatisation de TF1. Tout le monde sera d’accord TF1-Bouygues est un ennemi facile. Mais que penser du fait que depuis vingt ans, un auteur aussi essentiel que Bernard Noël n’ait invité (à l’exception de Charles Tordjman) par aucun centre dramatique, aucun centre chorégraphique, aucune scène nationale ?
Il me souvient qu’en 1983 (ou peut-être 1984), alors que j'étais à Montpellier, nous avions conçu et imaginé avec la chorégraphe Jackie Taffanel, non pas un festival off au festival Montpellier danse mais un pas de côté (cela devait s’appeler « Côté jardin »). Étaient invités des danseurs-chorégraphes comme Hideyuki Yano, Jacques Patarozzi, Elsa Wolliaston et des écrivains : Roger Laporte, Marc Le Bot et… Bernard Noël. Cela devait.se dérouler dans un jardin municipal. Nous ne demandions aucune subvention : autant qu'il m'en souvienne, Jackie Taffanel avait prévu de mobiliser les fonds de sa compagnie, le Groupe incliné. Mais cela n'a pu avoir lieu. Pourquoi ? Alors que le programme était prêt à partir à l'impression, pour empêcher la réalisation de ce petit événement, Jean-Paul Montanari (directeur du festival Montpellier Danse, ce qui est toujours à 72 ans sans intention de partir) avait obtenu de la Ville de Montpellier la réquisition de ce jardin pour y faire chaque jour des « présentations du festival » : communication… Il est temps de dire que « l'art officiel » s'est nourri de toutes ces petites censures a priori invisibles. Ce que Bernard Noël appelle la SENSURE : la privation du sens.

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