
Monsieur le Président de la République,
Je n’irai pas par quatre chemins.
Je n’irai pas griffonner mes griefs et desiderata dans l’un de vos « cahiers de doléances ».
Plutôt eussiez-vous dû mettre en place des cahiers de condoléances, où j’aurais eu le plaisir désolé de consigner la douleur qui est la mienne face au deuil de mes droits les plus élémentaires ainsi que deuil de l’espérance démocratique dont vous devriez être le premier garant ; colère partagée par de nombreux concitoyens qui manifestent depuis plusieurs semaines leur exaspération mais aussi leur désir de changement, et à qui vous n’offrez que miettes éparses, violence policière et dans certains cas, peines d’emprisonnement ferme, et mépris patent sous couvert de consultation fictive dont vous avez-vous-même désigné les limites à ne pas franchir, à commencer par le refus de suppression de l’impôt sur la fortune. Cette obsession répond sans doute à votre souci de protéger les quelques-uns (1,2 %) de grandes fortunes qui ont financé votre campagne électorale à hauteur de 6,3 millions d’euros (663 de vos donateurs, sur un total de 74.702, dont plus de 10.000 résident « dans des capitales étrangères »), 663 de ces donateurs ayant atteint le plafond légal de 7.500 euros (soit un total de 4.9 millions d’euros). Ainsi que l’écrivait Etienne Girard dans l’hebdomadaire Marianne en mai 2018 : « Une coterie de banquiers d'affaires, de financiers et de start-uppers à succès a largement soutenu En marche à ses débuts. Leurs dons massifs ont permis à Emmanuel Macron de s'émanciper de François Hollande. En attendant un retour sur investissement ? » D’ores et déjà, je sais qui vous a aidé à collecter cette précieuse manne. Mais je ferai cette « révélation » ultérieurement. Je pourrais à mon tour poser une question : pendant toute la durée de votre campagne électorale, vous avez, avec une remarquable constance, refusé de dévoiler quel en était le financement. Votre « protégé », M. Alexandre Benalla, qui vous accompagnait alors dans le moindre de vos déplacements, en saurait-il trop sur le sujet que vous ayez jugé plus prudent de lui laisser l’usage de passeports diplomatiques, que vous ayez maintenu avec lui des contacts une fois celui-ci de la Présidence de la République, et que de surcroît, comme l’a révélé ce matin Le Canard enchaîné, a été laissé en sa possession, jusque tout récemment, un téléphone Theorem, ultra-sécurisé, dont les factures ont été vraisemblablement réglées, jusque tout récemment, par l’Elysée ? Et apprendra bientôt, suite aux révélations de Mediapart de ce jour, qu’un certain argent sale d’origine russe, aurait plus ou moins indirectement, contribué à abonder la campagne de M. Macron ? Ces questions, je ne les poserai pas, faute de pouvoir en apporter aujourd’hui même les preuves tangibles. Qu’il soit permis, à tout le moins, de vous soupçonner de concussion (perception illicite par un argent public de sommes qu’il sait ne pas être dues), laquelle pourrait à elle seule engager un processus de destitution tel que prévu par l’article 68 de notre Constitution. Je ne peux cependant exercer droit de plainte pour ce motif, n’ayant eu à en subir aucun préjudice personnel. Seuls les représentants du peuple, dignement élus à l’Assemblée nationale et au Sénat, pourraient entreprendre une telle démarche, et ils ne le feront pas.
En revanche, je suis en mesure de vous accuser de mensonge et de négligence. Dans votre discours de vœux du 31 décembre dernier, vous avez affirmé : « Nous pouvons faire mieux et nous devons faire mieux : nous assurer que nos services publics restent présents partout où nous en avons besoin, que les médecins s’installent où il en manque - dans certaines campagnes ou dans des villes ou des quartiers où il n’y en a plus - qu’on puisse avoir le téléphone portable ou internet partout où on vit et travaille. Et, surtout qu’on puisse vivre en sécurité et tranquillité partout. J’y veillerai personnellement et chaque jour. » J’ai naïvement voulu croire en votre bonne foi. Je sais désormais que ce n’était que « poudre de perlimpinpin », pour reprendre l’une de vos expressions favorites.
Par courrier électronique en date du 3 janvier 2019 (pour lequel j’ai aussitôt reçu accusé de réception de l’Elysée), je vous écrivais : « Monsieur le Président, j'ai écouté vos vœux pour 2019 avec la plus grande attention, et j'ai pris bonne note de votre volonté de veiller personnellement et chaque jour à ma sécurité et à ma tranquillité, et je suis infiniment touché par une telle bienveillance de votre part.
Alors voilà, Monsieur le Président, je ne suis pas tranquille du tout et ne me sens pas davantage en sécurité. Au RSA depuis plus de 2 ans, après avoir perdu en 2014, suite à liquidation judiciaire, un travail de rédacteur en chef d'une revue culturelle que j'avais créée et dirigée pendant 20 ans, je ne vous cacherai pas que les fins de mois commencent de plus en plus tôt, que je n'arrive plus à aider mon fils pour ses études supérieures, et que la fin d'un monde cultivé et solidaire (que j'ai défendu avec la revue que je dirigeais) m'inquiète tout autant. Je vous remercie de bien me faire savoir dès que possible quelles mesures concrètes vous envisagez afin de ramener la tranquillité et la sécurité dans mon foyer intérieur. » Malgré l’urgence de la situation ainsi décrite, et malgré l’engagement que vous avez pris de « veiller personnellement et chaque jour » à la « sécurité » et à la « tranquillité » de vos concitoyens, ma missive est restée sans réponse à ce jour, une dizaine de jours après l’avoir adressée. Je n’ignore pas que vous avez présentement d’autres manifestants à fouetter, et désormais, un grand débat d’importance nationale à animer personnellement, comme nous l’avons vu hier. Je n’ignore pas davantage que les délits de mensonge et de négligence ne sont constitutifs d’aucune infraction pénale, et qu’ils ne sauraient valoir que condamnation morale, ce dont, j’imagine, vous vous contrefichez éperdument. En forçant un peu le trait, je vous accuse cependant de non-assistance à personne en danger. En effet, selon l’article 223-6 du code pénal, le délit de non-assistance à personne en danger est ainsi constitué :
- le fait pour quiconque de s’abstenir volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
- le fait pour quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire.
Or, Monsieur le Président de la République, j’osais espérer que ma missive du 3 janvier, dans le cas où vous n’auriez pas eu la disponibilité personnelle pour vous soucier de ma modeste personne, eut été transmise aux services préfectoraux qui auraient pu s’enquérir de mon état de santé. En effet, faute de ressources suffisantes, ne permettant ni de m’alimenter correctement ni de me chauffer, mon intégrité personnelle commence à être atteinte. Fort heureusement, je n’ai jamais été attiré par des pensées suicidaires parce que le désir de vivre est plus fort que tout. Mais cette plainte, je la dépose aussi pour celles en ceux qui n’en ont plus la volonté : je pense notamment aux migrants que vous laissez périr en mer, tout comme aux morts de la rue qui sont décédés en 2018, à un âge moyen de 49 ans, alors que vous aviez déclaré voilà un an, lors de vos vœux pour 2018 : « Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux qui sont aujourd'hui sans abri », évoquant « un grand projet social pour notre pays » que vous annonciez devoir « déployer » en 2018, et dont vous disiez alors : « C'est celui qui doit inspirer notre politique de santé, notre politique en faveur de celles et ceux qui vivent en situation de handicap, notre politique d'hébergement pour les sans-abri, notre politique sociale aidant les plus démunis. Sans cela, sans cette exigence humaniste, notre pays ne se tiendra pas uni. » L’actuel mouvement social des Gilets jaunes est venu confirmer votre diagnostic éclairé. Mais une fois le diagnostic établi, vous n’avez rien entrepris. Lorsque vous parlez, sur un ton d’enfant de chœur dont vous espérez qu’il fasse pleurer dans les chaumières, des « plus démunis », ce n’est là encore, que poudre de perlimpinpin, et le pays, voyez-vous, a cessé d’en être dupe.

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Monsieur le Président de la République, je porte encore plainte contre vous pour complicité de racket. Que vous ayez délibérément choisi de privilégier les plus privilégiés au détriment des plus humbles, est condamnable politiquement, mais ne l’est certes pas pénalement. En revanche, les récentes révélations de Mediapart sur le généreux cadeau que vous avez octroyé aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, lorsque vous étiez ministre de l’Economie et des finances, en 2015, ne manquent pas d’interroger. Cette « capitulation volontaire de l’État, abandonnant tout intérêt public », comme l’a écrit Martine Orange sur Mediapart, entraîne un surcoût de 500 millions d’euros pour les usagers, selon les évaluations de l’Autorité de régulation des transports ferroviaires et routiers (Arafer). Je suis l’un de ces usagers, Monsieur le Président, amené à emprunter l’autoroute notamment pour faire des aller-retours à Paris pour y chercher un éventuel emploi (il y a quelque lurette que mes moyens ne me permettent plus de partir en vacances, comme beaucoup de Français). Les juteux bénéfices que s’octroient les sociétés concessionnaires d’autoroutes, outre qu’ils représentent un précieux manque à gagner pour l’Etat, sont un véritable racket sur le dos des automobilistes, routiers et motards ; et vous avez été complice d’un tel racket. Nul n’est censé ignorer la loi, surtout pas vous, qui devriez en être le premier garant. L’article 312-1 du Code Pénal stiple que : « L'extorsion de fonds, par contrainte [ce qui est ici le cas puisque l’imposition de péages est une contrainte qu’il est difficile de contourner] est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende. » Je suis l’une des victimes de ce racket par contrainte, ce qui me fonde à porter plainte. C’était en 2015 : il n’y a pas prescription.
Enfin, Monsieur le Président, je porte plainte contre vous pour harcèlement moral. Vos multiples déclarations, répétées avec une constance de multi-récidiviste, à l’encontre des chômeurs qui n’auraient que la rue à traverser pour trouver un emploi, des Français qui n’auraient pas le sens de l’effort, des jeunes qui ont le tort de ne vouloir devenir milliardaires, des fainéants que vous avez opposés aux artisans, des travailleurs qui sont trop protégés, des « gens qui ne sont rien » que vous avez opposés à « ceux qui réussissent », des allocataires de minimas sociaux qui coûteraient un « pognon de dingue » à la société toute entière, sont délétères. Je ne peux énumérer la liste de toutes vos récriminations, elle est longue comme un jour sans pain. Ces propos irresponsables, humiliants et incendiaires ont allumé la mèche d’une révolte sociale qui a transformé un peuple passif en « foule haineuse », selon vos dires.
« Ceux qui naissent pauvres restent pauvres. Il faut responsabiliser les pauvres pour qu’ils sortent de la pauvreté », aviez-vous déclaré en juin 2018. Des propos que vous avez peu ou prou réitérés lors de votre déplacement à Grand Bourgtheroulde, ce lundi 14 janvier. Je fais partie, Monsieur le Président, de « ces Français en difficulté » qui « déconnent » et « abusent du système ». Cette ultime déclaration est venue réveiller le chapelet de toutes vos petites phrases qui, comme l’a déclaré un ancien ministre, « ont fait beaucoup de mal ». Je peux en témoigner personnellement. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir maintes fois « traversé la rue », en vue de chercher un emploi, comme peut en attester le feuilleton vidéo « Traverser la rue », dont les six premiers épisodes ont été mis en ligne sur la chaîne YouTube d’un nouveau média, Le Cours des choses.
Monsieur le Président, vos déclarations à l’emporte-pièces, sont arrogance et atteinte à ma dignité, tout comme elles le sont pour une majorité de nos concitoyens. À titre personnel (je dis « personnel », même si je me sens appartenir à ces troupes -je dis « troupe » et non « troupeau », dont vous sapez le moral),c’est portant, et en outre, au nom de ce collectif que je porte plainte aujourd’hui . Mais ma plainte ne sera recevable que si je la porte en nom propre. J’ai eu le tort, Monsieur le Président, d’avoir cédé à la pression que vous avez fait porter sur mes frêles épaules en m’assignant la responsabilité, voire la culpabilité, d’être précaire et démuni, et que je qualifie aujourd’hui de « harcèlement moral », lequel, comme vous ne sauriez l’ignorer, est « une conduite abusive qui par des gestes, paroles, comportements, attitudes répétées ou systématiques vise à dégrader les conditions de vie d'une personne (la victime du harceleur). Ces pratiques peuvent causer des troubles psychiques ou physiques mettant en danger la santé de la victime (homme ou femme). Le harcèlement moral est une technique de destruction ; il n'est pas un syndrome clinique. Ce thème est situé au croisement de plusieurs domaines : médical, socioéconomique, sociopsychologique, judiciaire, éthique et spirituel. » La pression que vous m’avez imposée, outre les incommensurables difficultés matérielles que j’ai dû traverser, outre le sentiment d’inutilité qui m’a atteint comme il touche nombre de concitoyens -comme le disait Marguerite Yourcenar, « le plus terrible, c’est de sentir inutile »-, cette pression a engendré, me concernant, plusieurs mois d’une sévère dépression, pendant laquelle je me suis senti incapable de « traverser la rue ». Je ne suis pas seul, Monsieur le Président, à avoir ressenti pareille humiliation. Si vous le souhaitez, plusieurs certificats médicaux peuvent venir témoigner de la réalité de cette affection qui m’a grandement handicapé : le harcèlement moral dont vous avez été coupable en a été la première cause. Aujourd’hui, Monsieur le Président, l’ensemble du pays veut sortir de cette dépression, et vous continuez de le harceler par une répression policière démesurée (je dédie cette intervention à l’ami bordelais que l’un de vos flash-balls a plongé dans le coma) et par des déclarations injurieuses.
Monsieur le Président, j’exige aujourd’hui réparation du préjudice moral, matériel et physique que j’ai eu à subir du fait de votre incessant harcèlement moral.
Monsieur le Président, je n’attends de votre part nulle excuse.
Monsieur le Président, j’attends votre condamnation, par la justice de mon pays en qui j’ai toute confiance.
Monsieur le Président, en prison, je ne viendrai pas vous porter d’oranges. Mon mépris à votre égard est sans pitié.