Pour coordonner la "reconstruction" de Mayotte, l’État français a nommé un militaire, ancien commandant de l'opération Barkhane. Avec un minimum de "pensée politique", il serait pourtant tout à fait possible de faire autrement.
Au fond, ce n'est pas si compliqué. Vouloir, c'est pouvoir ("quand on veut, on peut") et pouvoir, c'est vouloir.
Dès le lendemain du dévastateur cyclone Chido, les habitants de Mayotte étaient à pied d'oeuvre pour reconstruire ce qui fut détruit. Abris précaires, mais abris quand même. Or, cette énergie créatrice, cette inventivité bâtisseuse, l’État français a tout fait pour l'entraver, interdisant la vente de certains matériaux "de fortune", menaçant de détruire (dans la continuité de "l'opération Wahumbushu" menée il n'y a pas si longtemps par le hussard Darmanain) les "bidonvilles" restaurés à la hâte. Pour humilier une population qui a déjà tant souffert, on ne saurait mieux faire.
C'est toujours la faute des pauvres. Certains gouvernementaux et politiques désormais lepénisés n'ont-ils pas, au lendemain même de Chido, incriminé les "immigrés clandestins", naturellement responsables du désastre plus sûrement que le réchauffement climatique ? Ces mêmes irresponsables (les Retailleau, Valls et autres), pour dissimuler leur impuissance crasse (non exempte de post-colonialimsme coriace), poursuivent dans cette voie tellement commode du bouc émissaire. Pour régler les problèmes de Mayotte, il suffirait donc d'y supprimer le droit du sol : nul doute qu'une telle mesure radicale garantira l'accès à l'eau potable pour les Mahorais, dont parle la géographe Isabelle Favre (lire ICI) !
Le droit du sol fait pourtant partie de notre Constitution, mais Mayotte, qui est si loin, souffrira bien l'exception... avant que l'exception ne devienne ici-même la règle, comme le demande à corps et à cris le Rassemblement national.
Loin d'être un "non-lieu", Mayotte est un Lieu de ce monde, que les aléas de l'Histoire ont rattaché à la France. « Le "Lieu" n'est pas ce "territoire" géographique que consitue une terre natale », écrit Patrick Chamoiseau dans Faire pays (1). « Plus vaste et bien plus complexe qu'elle, composé d'autant d'assises topographiques que de substances sensibles, le "Lieu" enveloppe la terre natale, la dépasse par la vie de l'esprit, et constitue ainsi le seuil inaugural à partir duquel le monde nous appelle, nous concerne pour ainsi dire, et s'ouvre aux aventures de notre vie ». Or, ajoute Patrick Chamoiseau, « sans pensée politique, aucun Lieu n'atteint à sa maturité. »
Quelle "pensée politique" permettra à Mayotte d'atteindre sa "maturité", en se reconstruisant ? Là encore, ce n'est pas très compliqué. Dans l'esprit d'une architecture à "Haute Qualité Humaine" que défend Patrick Bouchain (lire ICI), et comme l'écrivent les membres de l'Association des Architectes des Risques Majeurs, qui prennent exemple sur la façon dont plusieurs villes d'Amérique du Sud ont réussi à résorber des bidonvilles, cela passe « par l’accompagnement individualisé des habitants vers l’amélioration progressive de leurs logements, par le confortement des quartiers, des cheminements et des espaces publics, par la mise en place de réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement, et par la sécurisation foncière ».
On entend bien que la tentation gouvernementale pourrait être, par exemple, de confier le chantier de reconstruction de Mayotte au groupe Bouygues, comme cela fut fait auparavant, pour le réseau d'eau, au groupe Vinci, qui a empoché l'argent sans respecter le contrat (et à qui, rêvons un peu, pourraient être demandés des dommages et intérêts).
Sur place, à Mayotte, écrit Les Échos, « l'ampleur de la tâche [de reconstruction], fait s'interroger sur la capacité du tissu des entreprises mahoraises à y répondre. Dans la construction, les acteurs sont surtout des PME en phase de structuration ». Les travaux, qui pourraient dépasser un milliard d'euros, selon Manuel Valls, ont été placés sous l'autorité d'un général 4 étoiles, le général Pascal Facon, qui n'y connaît strictement rien en BTP, mais a été le commandant en chef de l'opération Barkhane au Sahel. Une telle nomination en dit long sur les intention des l’État français à Mayotte !
Au lieu de cela : le taux de chômage est, à Mayotte, de 37%, et dépasse même 50% chez les 15-29 ans. Selon les estimations, sur une population de 290.000 habitants, il y aurait actuellement 50% "d'étrangers" (originaires à 95% des Comores), et parmi eux, 43.000 "clandestins" : bien loin de la "submersion migratoire" que dénonce François Bayrou. Il s'agit là d'une potentielle "main d'oeuvre" locale qui, moyennant contrats de travail en bonne et due forme (et formation si nécessaire), pourrait être le ferment d'une "reconstruction" de Mayotte, via des chantiers élaborés en concertation avec les habitants, sous l'autorité, pourquoi pas, d'une instance collégiale où pourraient notamment siéger certaines des personnes (les architectes de l'Association des Architectes des Risques Majeurs, qui œuvrent déjà sur le terrain, le poète Nassuf Djailani, la vice-présidente de la Ligue des Droits de l'Homme, etc.) que cite l'article d'Isabelle Favre publié par les humanités. Pour reconstruire en commun, et en dignité.
Jean-Marc Adolphe
(1). Patrick Chamoiseau, FAIRE-PAYS - Éloge de la responsabilisation, Éditions Le Teneur, 2023. Lire aussi, de Patrick Chamoiseau, sur les humanités : "Pour faire front poétique", publié le 28 juin 2024 (ICI).