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La démocratie est née à Athènes, puisqu’on doit aux Grecs de l’Antiquité d’avoir, les premiers, entamé une réflexion sur le pouvoir et l’autorité. La démocratie n’est donc pas, à proprement parler, une idée neuve. A la fin du 17ème siècle, John Locke a donné la première formulation cohérente de la démocratie moderne : la liberté est un droit naturel de l’homme, un gouvernement n’est légitime que s’il est fondé sur un contrat avec le peuple, le pouvoir de faire les lois et celui de les appliquer doivent être séparés. Cette séparation des pouvoirs, réaffirmée au milieu du 18e siècle par Montesquieu, reste une des bases de la démocratie occidentale. La notion de souveraineté populaire fonde la plupart des systèmes politiques contemporains. L’idée d’un pouvoir qui émanerait d’un Dieu, quel qu’il soit, nous entraînerait vers des formes d’obscurantisme qu’il faut combattre avec la plus grande fermeté.
Pourquoi faut-il, aujourd’hui, rappeler de telles évidences ? Parce quele corps de la démocratie est malade, rongé par toutes sortes de tumeurs et de cancers. Le problème, en effet, n’est plus de savoir si le pouvoir émane du peuple, par la vertu de l’élection, mais comment le peuple peut effectivement exercer les droits que les constitutions lui reconnaissent.
Les valeurs démocratiques et républicaines sont scellées dans le marbre, mais à quoi bon les invoquer de façon incantatoire quand bon nombre de nos concitoyens s’en sentent exclus, laissés-pour-compte d’une société trop inégalitaire, et que notre belle devise de « liberté, égalité fraternité », semble parfois tourner à vide ? Comment s’étonner, dès lors, que certains se détournent de la chose publique et gonflent le rang des abstentionnistes ; quand d’autres croient trouver refuge dans le communautarisme ou dans son pendant identitaire, et qu’au règne du chacun pour soi, les incivilités de toutes sortes deviennent un passe-droit. « Le dénuement de l’être abandonné se mesure aux rigueurs sans limites de la loi à laquelle il se trouve exposé », écrit le philosophe Jean-Luc Nancy (« L’impératif catégorique »).
Lorsqu’on parle d’incivilités, il est coutume d’incriminer prioritairement les jeunes « sauvageons » qui poussent nos banlieues. Mais le champ politique est-il exemplaire ? Les déplorables « affaires » qui sont venues défrayer la chronique ces dernières années, et encore tout récemment, ont instillé le poison du soupçon à l’égard de toute la classe politique. « Les politiques », comme on dit, seraient tous corrompus, « tous pourris ». Ce n’est pas vrai, et soit-dit en passant, la candidate de l’extrême droite, qui a désormais sa propre batterie de casseroles, n’est sans doute pas la mieux placée pour venir jouer à la Sainte Nitouche apte à venir donner des leçons de morale.
Si la presse et la justice mettent à jour et poursuivent des faits délictueux qui sont contraires à l’esprit et aux règles du service public, c’est le signe que notre démocratie se porte bien. Les contre-pouvoirs sont absolument nécessaires. Il faut renforcer l’indépendance de la justice, qui doit être totalement séparée du pouvoir politique. Il faut soutenir beaucoup plus activement l’indépendance de la presse, car il n’est pas tolérable qu’une poignée de groupes privés puisse avoir le contrôle des médias les plus importants. Il faudra aider beaucoup plus significativement la presse indépendante, associative, à faibles ressources publicitaires, et de façon plus large, encourager les « laboratoires de pensée », souvent minoritaires, qui exercent une salutaire fonction critique. Il faut enfin protéger sans la moindre hypocrisie les « lanceurs d’alerte » qui, à l’ère d’Internet, prennent parfois des risques personnels pour révéler des scandales financiers, sanitaires ou environnementaux. La France devrait ainsi offrir asile à Edward Snowden, qui a révélé les détails de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques, comme nous le faisons déjà pour des écrivains, intellectuels, scientifiques, mlitant.e.s des droits de l’homme persécuté.e.s dans leur pays.
À tous égards, restaurer la confiance suppose une République exemplaire. Mais toutes ces bonnes intentions ne suffiront cependant pas à inverser ce constat inquiétant : la défiance des citoyens envers le système démocratique ne cesse de s’accentuer : 70 % des Français considèrent que la démocratie française ne fonctionne pas bien. Les « affaires » ne sont pas seules en cause. Nos concitoyens ont aujourd’hui le sentiment de n’être ni consultés ni entendus, ont l’impression que leurs craintes et difficultés n’intéressent pas vraiment des experts hors-sol qui décident de leurs vies. Il faut sortir de cette logique dépressive. Le problème de la France, ce n’est pas que son cœur se soit arrêté, c’est qu’il ne gouverne plus.
Faisons à nouveau de la démocratie une idée neuve, qui puisse faire du XXIe siècle ce futur désirable. La démocratie représentative est aujourd’hui largement étouffée par des contraintes administratives, techniques, qu’il conviendra d’alléger. Les partis politiques fonctionnent trop souvent en vase clos, et oublient de se laisser irriguer par les utopies et les initiatives de la société civile. Aller au-delà de ce constat, pour engager une nouvelle ère de l’incessant chantier démocratique, c’est donner beaucoup plus de place, dans toutes les composantes de la décision publique et de la vie commune, aux formes de démocratie participative et citoyenne qui ont émergé partout sur la planète ces dernières années, et qu’a manifesté le printemps dernier en France, dans sa façon de faire place commune à la rencontre, au forum et parfois à la contestation, un mouvement comme Nuit Debout.
Ce conseil citoyen ne doit pas être simple gadget, mais le premier pas vers une rénovation en profondeur de notre vie démocratique. Pour sortir du sentiment d’une démocratie confisquée par une classe politique et des élites technocratiques, il faut que la politique se mette au diapason des décisions citoyennes. Pour changer la République, n’y suffira pas une assemblée constituante, même si cela en constitue sans doute une possible étape. Parlons plutôt d’assemblée permanente. C’est-à-dire que de nombreuses décisions politiques, en premier lieu celles qui concernent la vie de la cité, ou encore des questions écologiques, devraient être précédées, accompagnées et suivies par des instances citoyennes.
« Le monde ancien disparaît, le monde nouveau tarde à naître ; alors dans ce clair-obscur surgissent des monstres », écrivait Gramsci. Face à tous ces dangers qui nous menacent, il est précieux de s’accrocher à l’une de ces utopies dont nous parlions : rendre à notre pays un fonctionnement citoyen, un orgueil démocratique » (Laurent Mauduit, revue « Rebelle », janvier-février 2017)
De nombreuses initiatives existent d’ores et déjà partout sur le territoire. Un seul exemple. Le Théâtre de l’Unité, pionnier en France du théâtre dans l’espace public, a initié depuis quelques années des « parlements de rue ». Voilà ce que nous dit Jacques Livchine, co-directeur du Théâtre de l’Unité : « Nos 12 parlements de rue nous ont appris des choses très simples. Les gens veulent réinjecter de la démocratie dans le système. Les gens ne se sentent pas représentés, ils ont l’impression qu’en dehors du bulletin de vote, la politique les ignore. Ils ont envie d’être écoutés, ils ont envie d’accéder plus facilement à leurs élus. Sans arrêt ils remettent ça : « parce qu’on n’est pas instruit, parce qu’on n’a pas de titres, on ne nous écoute jamais ». Les gens, surtout les plus pauvres, ont quantité de lois à proposer, le peuple est d’une richesse infinie. On attend des candidats beaucoup plus que leur programme, mais comment vont-ils gouverner ? Vont- ils être des représentants du peuple ou s’enfermer à l’Elysée avec leurs conseillers ? On veut de la démocratie directe, des ateliers plus que des meetings. »
Lien du parlement de rue : http://site12465.mutu.sivit.org/Unite_2012/Parlement_de_Rue/Parlement_de_Rue.html
Le 8 février 2001, questionné sur l’usine Renault de Vilvorde, Lionel Jospin avait lâché cette phrase qui avait heurté l’inconscient collectif : « l’État ne peut pas tout. » En effet, il faut le reconnaître, l’État ne peut pas tout. Mais ce constat ne doit pas être synonyme de démission ou de résignation. Pour faire face aux émotions qui nous gouvernent, nous avons le choix entre la confiance et la peur. Une candidate est aujourd’hui celle du parti de la peur. Mais il y a fort à parier que la chefferie de sa marine nationale nous conduise un vaste naufrage collectif. Ne nous laissons pas dominer par la peur, ce serait la fin de la démocratie. Comme l’écrit l’écrivain mozambicain Mia Couto, « il y a des murs qui séparent des nations, des murs qui divisent les riches et les pauvres. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de mur qui sépare ceux qui ont peur de ceux qui n’ont pas peur. Sous les mêmes nuages gris, domestique qu’on nos rêves et restreignant nos espérances. Sur cette espèce d’hystérie collective, Eduardo Galeano a écrit la chose suivante : Ceux qui travaillent ont peur de perdre leur travail. Ce qui ne travaillent pas ont peur de ne jamais trouver de travail. Qui n’a peur de la faim, a peur de la nourriture. Les civils ont peur des militaires, les militaires ont peur du manque d’armes, les armes ont peur du manque de guerres. Et si ça se trouve, il y en a qui ont peur que la peur prenne fin. » (Mia Couto, « Murer la peur », conférence d’Estoril, mai 2011, éditions Chandeigne, mars 2016). N’ayons pas peur de la diversité des âges, des sexes, des origines, qui constitue aujourd’hui la société française et en font sa richesse. La démocratie doit pleinement faire place à cette généreuse diversité. Aucun délit de faciès, aucun défaut d’origine sociale ne sera toléré. Nous avons besoin de toutes les énergies pour construire le futur désirable.
Un autre candidat à l’élection présidentielle se prétend « en marche » vers un horizon dont les contours sont particulièrement flous. En lieu et place d’un programme sur lequel nous pourrions nous prononcer, ce candidat confie que pour lui, « la politique c’est mystique », et que cela relève d’une forme de magie. Nous avons trop connu dans le passé, de ces magiciens dont les tours de passe-passe nous divertissent un temps avant de bien vite nous lasser et nous décevoir. La politique n’est pas affaire de magie et de transcendance ; la politique, c’est ce qui permet d’avoir prise sur le réel, de ne jamais s’en laisser déposséder, car tel est notre bien le plus précieux.
Le réel de la France, c’est aujourd’hui d’être l’une des cinq plus riches nations d’Europe, et pourtant y prospérent des souffrances, des humiliations, qui atteignent son cœur battant. Notre parti, c’est celui de la confiance. Au-dessus des partis, même s’il dispose sur certains sujets sensibles d’une autorité régalienne, un Président doit être le porte-parole de ses concitoyens, il doit être capable de s’associer aux décisions que prendront des assemblées citoyennes. Un président doit être un fédérateur d’énergies, il doit encourager, stimuler et rassembler les forces de création et de développement économique qui ne demandent qu’à pouvoir s’épanouir.
Le conseil citoyen dont la procédure est aujourd’hui lancée doit être le ferment, pour aujourd’hui et pour demain, d’une intelligence collective et populaire qui viendra ressourcer le puits de la démocratie et en extraire les idées neuves qui abreuveront le sillon de notre destin national.