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Billet de blog 22 mars 2017

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Poésie, passe ton chemin

Passé totalement inaperçu en France, y compris de la part d’Audrey Azoulay, qui vise pourtant la direction générale de l’Unesco, le 21 mars était Journée Internationale de la Poésie. Petite revue d’effectifs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Qui le sait ? Le 21 mars a été proclamé Journée mondiale de la poésie par la Conférence générale de l'Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture, lors de sa 30ème session, à Paris, en octobre et novembre 1999. L'objectif de cette journée est d'encourager la lecture, la rédaction, la publication et l'enseignement de la poésie dans le monde entier et de « donner une reconnaissance et une impulsion nouvelles aux mouvements poétiques nationaux, régionaux et internationaux. »

Cette année, l’UNESCO avait choisi de mettre à l’honneur trois poètes en particulier :

Ø  Le Géorgien Nikoloz Baratashvili, pour le 200ème anniversaire de sa naissance. Qualifié de « Byron géorgien », son œuvre est malheureusement peu étendue : il est mort prématurément de la malaria à 26 ans, sans avoir encore publié ses écrits. C'est seulement la génération suivante des écrivains géorgiens qui redécouvre sa poésie et qui le publie à titre posthume, entre 1861 et 1876, pour en faire une véritable idole. Le transfert de sa dépouille de Gandja à Tbilissi en 1893 fut l'occasion d'une célébration nationale. Depuis 1938, ses restes sont déposés au Panthéon de Mtatsminda de Tbilissi.

Ø  Molla Panah Vagif, poète azéri (1717-1797), pour le 300ème anniversaire de sa naissance ( https://en.wikipedia.org/wiki/Molla_Panah_Vagif ).

Ø  Sayyid ‘Imād-ad-Dīn (alias Nassimi), pour le 600ème anniversaire de sa mort. Nasimi vécut à la charnière des XIVe et XVe siècles, une époque de rigorisme religieux et d'obscurantisme, alors que son pays se trouvait englobé dans l'empire mongol. Ce qui nous est parvenu de son œuvre nous montre à la fois un grand poète et quelqu'un qui croyait en l'homme et en l'amour. Son œuvre consiste en deux divans (recueils de poèmes), l'un en azéri, l'autre en persan, et quelques poèmes en arabe. Nassimi fut un représentant éminent du houroufisme, mouvement mystique apparu en Azerbaïdjan à la fin du XIVe siècle et dont le fondateur était Fəzlullah Nəimi. Mais alors que ce dernier croyait être lui-même une manifestation de Dieu, Nassimi croyait que de Dieu, centre de l'univers, venait la lumière qui illuminait l'homme.

Le mysticisme de Nassimi peut faire croire à un poète austère et désincarné. C'est tout le contraire : l'auteur de plusieurs centaines de ghazals — poèmes d'amour, poèmes érotiques — est un homme d'ouverture et de sagesse. Nassimi convie l’homme à se connaître lui-même. Le savoir, la raison font en effet pour lui la force de l’homme :

« Toi qui convoites le brillant et l’or,
convoite plutôt la science,
La science de l’Homme n’est-elle pas brillant et or ? »

Et encore :

« Ô Homme, ta force est dans la connaissance,
L’ignorance est le lot du djinn et du démon. »

Et la sagesse du moment présent :

« Laissons là, ô mon cœur les promesses, jouissons de l'instant.
Hier n'est plus, demain est indistinct, dans l'instant est la félicité. »

La légende rapporte qu'un jour, à Alep, un des élèves de Nassimi va par les rues déclamant un ghazal de son maître :

« Ouvre l'œil à Dieu-Vérité si tu veux voir ma face
L'œil qui scrute son nombril, comment verrait-il le visage divin ? »

On entend ces paroles, on les trouve hérétiques, on s'empare de lui et on veut qu'il dise qui est l'auteur du poème. Il affirme que le poème est de son cru, ce qui lui vaut d’être condamné séance tenante à la peine capitale. Informé de la chose, Nassimi accourt sur les lieux et réclame la mise en liberté de l’innocent, en revendiquant la paternité de l’œuvre. Les dignitaires rendent alors un nouveau verdict : Nassimi serait écorché vif. Le poète va au terrible supplice avec dignité. Tandis que le sang coule déjà, un des bourreaux lui demande : « Toi qui dis être Dieu, pourquoi pâlis-tu tandis que ton sang fuit ? » Nassimi répond : « Je suis le soleil d’amour à l’horizon d’éternité. À l’instant où il se couche, il est dans l’ordre des choses que le soleil pâlisse ».

L'héritage de Nassimi est d'abord en poésie : « La vigueur et l'audace exprimées dans les poèmes de Nassimi (exécuté en 1417) ont laissé leurs traces chez des poètes qui ont suivi, même si aucun d'eux n'a atteint sa grandeur d'âme et d'expression ». Entre autres, le chah Ismail Ier, qui écrivait dans la même langue que Nassimi, a chanté ses louanges. À Alep, sa sépulture est toujours un lieu de pèlerinage et on chante encore aujourd'hui sur les paroles qu'il a écrites.

(source : Wikipedia)

Ce « World Poetry Day » a été célébré un peu partout dans le monde. Au hasard Balthasar :

Ø  - A Antananarivo (Madagascar), Le Quartier général des jeunes à Ampefiloha a également vibré au rythme des vers et des proses déclamés par une ribambelle de poètes venus en masse pour répondre à l’appel à cette occasion. Du côté du centre culturel américain à Tanjombato, une série de concours et de manifestations axée sur la poésie ont également été programmés.

Ø

Illustration 2
Mervyn Morris

- Aux Iles Caïman, le poète jamaïcain Mervyn Morris a été invité à donner plusieurs lectures ; il a également animé des ateliers pour adultes et pour adolescents. ( https://www.caymancompass.com/2017/03/20/world-poetry-day-features-poet-laureate-mervyn-morris/ )

Ø  - En Inde, le Premier Ministre, Narendra Modi, a publiquement exprimé ses remerciements à tous ceux qui popularisent l’expression poétique : « On #WorldPoetryDay I congratulate all poets, budding & established for their efforts to popularise this splendid medium of expression », a-t-il tweeté hier.

Rien de tel, en revanche, sur le compte twitter du Premier Ministre français, Bernard Cazeneuve, qui avait, il est vrai, d’autres soucis à « l’intérieur » de sa tête pour daigner s’intéresser à la poésie. M’enfin, même Audrey Azoulay, soi-disant ministre de la Culture, n’en a cure. Hier elle retweeté ce curieux message du ministère de la Culture pour promouvoir la Semaine de la Langue Française : « Les mots sont à l'écrivain, ce que le marbre est au sculpteur, la farine au boulanger et les cartes au joueur de poker. » C’est qu’Audrey Azoulay en effet, joue au poker (menteur) et elle tente un coup d’orfèvre : prendre la direction de l’Unesco. Là est son principal souci, comme en témoigne ce retweet d’un article du Monde qu’elle a posté hier : « Pourquoi je suis candidate à la direction générale de l’Unesco ».

Illustration 3

On ne voudrait pas ruer dans les brancards, mais quand même, une candidate à la direction générale de l’Unesco qui n’est même pas fichue de manifester, ce 21 mars, le moindre signe d’intérêt à l’égard d’une Journée Internationale de la Poésie sous l’égide de ladite Unesco, ne devrait même pas figurer dans la « short list ».

Hier, c’est en Espagne qu’il fallait chercher un peu de réconfort. Comme l’indiquait un article de Andrea Aguilar dans El Pais, « la prolifération de récitals et de jam sessions dans plusieurs villes, le succès public que rencontrent ces évènements, les rééditions d’œuvres poétiques publiées ces dernières années, -avec des ventes qui dépassent les 10.000 exemplaires, et les nombreux commentaires postés sur les réseaux sociaux, confirment le puissant attrait de la poésie. »

Illustration 4
Les moulins de Consuegra, à l'enseigne du World Poetry Day

Hier, la palme est revenue à la modeste localité de Consuegra, à une soixantaine de kilomètres de Tolède. Cette ville de 10.000 habitants abrite un château médiéval et 12 moulins à vent. Dix-huit poètes y ont été invités à lire leurs textes. Puis, dans l’après-midi et en soirée, des haut-parleurs dispersés dans la ville ont diffusé des poèmes enregistrés, et last but not least, les moulins se sont mis à tourner avec, fixéssur leurs ailes, des slogans poétiques confectionnés par les enfants et les habitants de Consuegra. Cela change, assurément, des moulins à paroles qui pullulent, en France, dans une campagne électorale où l’on cherche en vain l’étincelle poétique.

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