(Première version initialement publiée sur Facebook le 18 mars 2020)

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L’art d’être à contre-temps. A l’heure où cela devient une consigne nationale (et même, quasi planétaire), je suis sorti du confinement où je m’étais confiné depuis près d’un an.
Bref résumé des épisodes précédents. Fin 2018, début 2019, j’avais rêvé d’un nouveau média (Le Cours des choses) pour « raconter le monde qui va bien », y ai travaillé quelques mois, avais appelé au renfort, etc. Contre les vents et marées d’une précarité obligée (sur laquelle je ne m’étendrai plus), je suis allé jusqu’au lancement du site internet. Avant de sombrer. D’épuisement (sans doute me suis-je trop agité, au risque de lasser), faute de moyens (rattrapé par cette précarité qui, aujourd’hui, touche tant d’entre nous). Comme découragé, vaincu physiquement, et moralement.
Cet effondrement personnel, je l’ai totalement intériorisé, tout en pensant confusément que je me mettais au diapason du grand effondrement qui guette la planète. Je ne suis pas spécialement « collapsologue », mais quand même…
Alors, sans même en faire vœu, j’ai fait abstinence. Abstinence contrainte, pour une part. La ressource minime du RSA ne te permet pas, de toute façon, d’aller bien loin. Alors tu apprends, ou ré-apprends, à manger peu (et bien, quand même), à limiter au strict nécessaire tes déplacements, à te passer de chauffage (deux hivers de suite). Tu te dis que la vie d’avant pouvait avoir certains charmes. Mais que celle-ci, pour difficile qu’elle soit à certains moments, a aussi ses vertus. Tu retrouves ainsi le plaisir agrandi de la lecture (ouf, pas de télé). Tu as la chance d’avoir un petit jardin où tu as commencé à mettre en œuvre la permaculture ; et tu ne te souviens pas d’avoir mangé d’aussi bonnes tomates, pommes de terre, potimarrons, etc. Bref, sans te rallier à quelque secte que ce soit, tu as mis en œuvre, à ta modeste échelle, la décroissance. Et tu t’aperçois que ce n’est pas si compliqué !
Paris est devenu beaucoup trop cher. Je fus bien inspiré, voilà 25 ans, d’acquérir une vieille baraque campagnarde, me disait qu’elle serait plus tard refuge d’écriture. Ou refuge tout court. C’est là que je me suis auto-confiné, ne voyant quasiment personne hormis un ou deux voisins.
Ce confinement et cette « distanciation sociale », bien avant l’arrivée du coronavirus et les consignes de protection sanitaire, je les ai testés à mon corps défendant. Pire (ou mieux, c’est selon), j’ai étendu ce confinement et cette abstinence au-delà de l’espace physique du hameau. A de rares exceptions près, soigneusement triées sur le volet, j’ai pris mes distances avec les « milieux culturels » (où je suis, de toute façon, largement devenu « indésirable » pour ce que j’ai pu écrire ou certaines de mes prises de position). De ne quasiment plus voir de spectacles ne m’a pas tant manqué : de toute façon, voilà un moment qu’un certain mode de surproduction / surconsommation dans la « culture » commençait à me lasser / éloigner. J’ai renoncé à « l’espoir » de retrouver un de ces jours du « travail » (hormis quelques bricoles bienvenues) : pour faire quoi, contribuer à quel système ?
Aujourd’hui, fort de mon expérience, peut-être pourrais-je devenir coach en confinement ???
Plus étonnant, peut-être plus regrettable, là encore à quelques exceptions près, j’ai mis entre parenthèses certaines relations amicales : mes messageries (téléphone, courriels) se sont aussi mises à la décroissance. Et sur Facebook et Twitter, abstinence quasi-totale depuis près d’un an. Il me semblait que je n’avais rien à dire d’intéressant et qu’il était donc inutile de polluer les réseaux sociaux de publications ou commentaires superflus. Jadis drogué aux médias, je suis pareillement entré en cure. Faute de ressources, j’ai même dû me désabonner de Mediapart, cessant ainsi d’avoir accès à mon blog. Silence radio (jusqu’à présent, j’ai miraculeusement pu réactiver mon abo Mediapart).
Comme l’écrivait Kurt Tucholsky : « Si je devais mourir maintenant, je dirais : c’est tout ? Et encore : c’était un peu bruyant… » Si nous allons, avec plus ou moins d’insouciance, vers l’effondrement planétaire, à quoi bon rajouter du bruit ?
Voici quelques jours, j’ai rompu l’abstinence. Je sors du confinement en plein confinement généralisé. C’est malin. Mais pas pour faire du tapage. Pour murmurer quelques hypothèses. Toujours à contre-temps, je pense en effet que ce coronavirus pourrait, à terme, se révéler bénéfique et nous aider à fabriquer individuellement et collectivement des « anticorps » qui ne concerneraient pas le seul virus. Bien sûr, l’heure est à l’urgence sanitaire. Mais dans le confinement qui est imposé, rien n’empêche aux neurones de se rassembler et de commencer à inventer de nouveaux possibles.
Même Emmanuel Macron, à la fin de son allocution du 16 mars, l’a dit : « Retenons cela, le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. » Evidemment, cela ne veut pas dire grand-chose, et nous avons appris à ne guère accorder de crédit à certaines grandes déclarations politiques qui ne sont qu’effet de manche et ne mangent guère de pain. D’ailleurs, sur ce « jour d’après », l’actuel président de la République ajoute simplement : « Nous serons plus forts moralement. » La belle jambe !
Alors, quoi ? Fin du premier épisode. Pour la suite, où il ne sera plus question d’expérience « personnelle », il faut encore cajoler l’imagination, rassembler des sources, trouver les mots.

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APPENDICE (20 mars)
Un joli matin.
J'ai décidé de sortir sans dérogation (mais je rassure, sans trop m'éloigner).
Je vais voir mes voisins, leur parler (sans prendre de gants !), écouter ce qu'ils ont à me dire (en général, ça ne manque pas de sève), sans masque de protection, ni mesure de distanciation sociale. Je vais même les toucher.
Cela fait longtemps qu'ils sont confinés. Des siècles qu'ils n'ont pas voyagé (quand on ne les a pas arrachés à leur terre nourricière). Mais ils changent tout le temps. En ce moment, certains sont en train de prendre leur habit de lumière.
Mes voisins les arbres.