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Billet de blog 26 mars 2020

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Dernières nouvelles de la peste (02). Quel "jour d'après" ?

Qu’allons-nous devoir sacrifier, dans nos modes de vie, pas seulement pour stopper ce coronavirus-ci, mais pour prévenir de futures pandémies et autres catastrophes biologiques, climatiques, sociales, etc. ?

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Illustration 1
Publication Facebook, 15 mars 2020 © Jean-Marc Adolphe

Sans vouloir « romantiser la quarantaine », j'invite à réfléchir aux bienfaits du confinement, pas seulement pour les raisons sanitaires qui l'ont imposé. Ce temps de confinement (dont nous ignorons encore le terme), totalement inimaginable voici peu, entraîne certes désagréments et inconvénients, pas toujours faciles à gérer au quotidien, et dans la durée à venir. Certains parlent d'un « sacrifice » nécessaire, pour soi et pour les autres. Que ce « sacrifice » soit commun, voilà qui n'est pas neutre. Prendre la mesure de ce sacrifice, c’est l’étendre bien au-delà de la sphère personnelle et privée. Qu’allons-nous devoir sacrifier, dans nos modes de vie, pas seulement pour stopper ce coronavirus-ci, mais pour prévenir de futures pandémies et autres catastrophes biologiques, climatiques, sociales, etc. ?
Inutile de chercher un bouc-émissaire en dehors de ce que nous avons-nous-même fabriqué. Le malheureux pangolin, d’où tout serait parti à Wuhan, n’y est hélas pour rien. Déjà victime d’un intense braconnage en Afrique et en Asie, le pangolin n’aura été que le transmetteur bien involontaire de tout un système ayant produit le virus et sa propagation. Pour qui souhaite prendre le temps de lire et de s’informer, je renvoie à un long et passionnant article d’analyse sur l’histoire des liens entre épidémies, production et capitalisme dans le monde et sur la réponse de l’État chinois face au coronavirus, publié par lundimatin.

Illustration 2
Pangolin, le mammifère le plus traqué au monde.

Une documentation d’ores et déjà abondante vient nous renseigner sur les liens entre le surgissement et la propagation du coronavirus, et l’effondrement de la biodiversité, qu’un capitalisme outrancier et arrogant ne cesse de provoquer, en dépit de toutes les alertes sur le réchauffement climatique. Et cela, il ne suffit pas de réclamer des maques et du gel au Pernod-Ricard pour s’en prémunir. Or, ce capitalisme destructeur, nous pouvons certes le détester et se désoler des dommages collatéraux qu’il engendre partout sur la planète, mais il est plus délicat de reconnaître que, dans nos modes de vie et de consommation, nous ne cessons de l’encourager (plus ou moins).
Pour se défaire du coronavirus, et d’autres pandémies à venir, il faut soigner le mal à sa racine.
La racine, c’est nous.
C’est un combat, pas une guerre. Je rejoins pleinement ce qu’écrit Sophie Mainguy (Médecine et sens) : « Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l'être. Il n'y a pas besoin d’une idée systématique de lutte pour être performant. L’ambition ferme d’un service à la vie suffit. Il n’y a pas d’ennemi. (…) Les formes de vie qui ne servent pas nos intérêts (et qui peut le dire ?) ne sont pas nos ennemis. Il s’agit d’une énième occasion de réaliser que l’humain n’est pas la seule force de cette planète et qu’il doit - ô combien- parfois faire de la place aux autres. Il n’y a aucun intérêt à le vivre sur un mode conflictuel ou concurrentiel. (…) Nous ne sommes pas mobilisés par les armes mais par l'Intelligence du vivant qui nous contraint à la pause. Exceptionnellement nous sommes obligés de nous pousser de coté, de laisser la place. Ce n’est pas une guerre, c’est une éducation, celle de l’humilité, de l’interrelation et de la solidarité. »

Il faut lire le formidable « Monologue du virus » publié le 18 mars sur le site de lundimatin : « Voyez donc en moi votre sauveur plutôt que votre fossoyeur. Libre à vous de ne pas me croire, mais je suis venu mettre à l’arrêt la machine dont vous ne trouviez pas le frein d’urgence. Je suis venu suspendre le fonctionnement dont vous étiez les otages. Je suis venu manifester l’aberration de la « normalité ». « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie à d’autres était une folie »… « Il n’y a pas de limite budgétaire, la santé n’a pas de prix » : voyez comme je fais fourcher la langue et l’esprit de vos gouvernants ! Voyez comme je vous les ramène à leur rang réel de misérables margoulins, et arrogants avec ça ! (…) Remerciez-moi : je vous place au pied de la bifurcation qui structurait tacitement vos existences : l’économie ou la vie. C’est à vous de jouer. L’enjeu est historique. »

Illustration 3
Pollution atmosphérique à Pékin


D’ores et déjà, ce fichu coronavirus aura eu des effets spectaculaires. Ainsi, comme l’écrit Reporterre : « en Chine, berceau de l’épidémie, plusieurs instances scientifiques ont scruté, depuis l’espace et à travers les données récoltées par leurs satellites, les évolutions du taux de particules fines et de polluants dans l’atmosphère. Leur constat est sans appel. En janvier et février dernier, la concentration de dioxyde d’azote (NO2), un gaz très toxique émis par les véhicules et les sites industriels, a diminué de 30 % à 50 % dans les grandes villes chinoises par rapport à la même période en 2019. Le taux de monoxyde de carbone (CO) a, quant à lui, baissé de 10 % à 45 % dans toute la région entre Wuhan et Beijing. Les niveaux de particules fines ont aussi chuté de 20 % à 30 % en février par rapport aux trois années précédentes. »
Le coronavirus tue ? Oui, mais il sauve aussi ! En Chine, 3.500 décès sont liés au coronavirus, quand la pollution atmosphérique tue en moyenne chaque année 1,1 million de personnes dans le pays. Selon les calculs d’un chercheur de l’université Stanford, en Californie, Marshall Burke, l’amélioration de la qualité de l’air en Chine a sauvé la vie de 4.000 enfants de moins de cinq ans et de 73.000 personnes âgées. « La réduction de la pollution en Chine a probablement sauvé vingt fois plus de vies que celles qui ont été perdues en raison du virus », écrit-il sur le site web G-Feed, un groupe de travail sur la société et l’environnement…


Ce qui est d’ores et déjà observé en Chine sera sans doute étendu à l’ensemble de la planète, notamment en raison de la spectaculaire réduction du trafic aérien, et de l’arrêt de certaines productions. Mais ne nous réjouissons pas trop vite. En effet, le scientifique Hervé Le Treut nuance l’idée d’une future embellie climatique. « On est encore loin d’inverser la courbe. Les émissions ont continué d’augmenter ces dernières années. Le changement climatique est lié à l’accumulation de gaz à effet de serre produits depuis plusieurs décennies, ce n’est pas quelques jours ou mois de pause qui changeront le phénomène. C’est complètement marginal. » Reste donc à espérer que « l’épidémie et les mesures prises à son encontre vont créer un choc psychologique dans nos sociétés. L’épisode que nous allons vivre ne va pas nous laisser indemnes. Il aura des conséquences sur les politiques environnementales à venir. »
En la matière, je ne saurais mieux dire qu’Hervé Kempf, dans l’éditorial qu’il vient de mettre en ligne sur Reporterre : « Le système économique est à genoux, et c’est maintenant qu’il faut réfléchir activement pour préparer la relève. Le principe en sera d’imposer la refonte écologique et sociale profonde que le mouvement alternatif revendique depuis des années : une régulation réelle des marchés financiers, une réévaluation des missions de l’État, notamment à l’égard des biens collectifs tels que la santé, une économie fondée sur le respect des limites de la biosphère, la réduction des inégalités. Le coronavirus rebat les cartes. Très bien. Usons le confinement pour préparer le nouveau jeu. »

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