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[Première version de ce texte initialement postée sur Facebook, le 23 mars 2020]
J’avoue une certaine lâcheté. Depuis que je tiens le feuilleton de cette « chronique », il a été peu question de masques et de tests, et moins encore de cette potion-miracle, la chloroquine, grâce à laquelle le Professeur Didier Raoult, qui dirige l’Institut hospitalier universitaire Méditerranée-Infection à Marseille, promet au Coronavirus une « fin de partie ». Comme tout un chacun, je lis et me documente sur ces sujets sensibles. Je n’y ai guère fait écho jusqu’à présent pour deux raisons :
-l’actualité médiatique, tout comme beaucoup de publications et commentaires sur les réseaux sociaux, en parlent déjà à foison : à quoi bon rajouter inutilement du bruit ? « Je n’ai rien à dire sur le sujet, mais je tiens à ce que ça se sache » : non, merci.
-la seconde raison est lâche (ce que j’avoue donc). Nous sommes entrés en confinement, pour une durée encore indéterminée. Trop tard, peut-être : les services hospitaliers craignent le pic de pandémie qui viendrait déborder la capacité de places en réanimation. Même si nous savons que la pandémie est loin d’avoir fini sa course (en Italie, avec plus de 5.000 morts à ce jour, le gouvernement vient d’ordonner l’arrêt de toute activité de production autre que celle "strictement nécessaire", et le gouverneur de Lombardie a annoncé de nouvelles mesures restrictives, jusqu’au 15 avril), chacun peut nourrir l’espoir que ce « cauchemar » cesse au plus vite. Je souhaite évidemment que toutes les mesures soient prises pour réduire autant que possible le nombre de victimes du Coronavirus, mais je crains tout autant (ou presque) un retour trop rapide à la « vie normale », celle d’avant. Si le « jour d’après » consiste à simplement refermer la parenthèse, et à reprendre le cycle infernal qui a permis l’émergence et la propagation du virus, nous aurons perdu l’occasion que peut nous offrir ce « temps suspendu » pour reconsidérer les paramètres du logiciel qui guide nos existences. On peut d’ores et déjà prévoir que le gouvernement saura « lâcher un peu de lest » (sur l’hôpital public, notamment) pour mieux faire passer la pilule d’une « mobilisation générale », qu’autorisera la prolongation plus ou moins tacite de « l’état d’urgence sanitaire », au motif de « redresser » l’activité économique.
L'heure du confinement
Pour l’heure, confiné.e.s. Exception faite de celles et ceux qui sont au front (les soignants), de celles et ceux encore contrains de travailler, souvent sans les protections (gants, masques) qui devraient être requises. On prendra connaissance avec intérêt du travail du chercheur et universitaire Arnaud Mercier sur les raisons de la pénurie de masques pour faire face à la pandémie [voir ci-dessous].
Dans une précédente chronique, j’invitais à « réfléchir aux bienfaits du confinement ». Dans mon refuge de campagne, qui n’est pas bunker, faut pas croire que je serais à l’abri des désagréments. Ironie du sort : pour la première fois depuis 2 ans, j’avais enfin un engagement « professionnel » prévu à la fin de ce mois. Enfin un peu de beurre sur les épinards (ou cacahuètes) du RSA, mais surtout, la vive attente de retrouver, pour quelque temps, l’espace partagé d’une « résidence de création ». Evidemment annulé. Mais je ne vais pas me plaindre : ce serait tellement dérisoire au regard de situations autrement plus critiques. Et puis, j’ai depuis longtemps en tête une maxime dont j’ai oublié l’auteur : « si quelque chose que tu attends n’arrive pas, c’est bon signe. Cela veut dire que t’attend quelque chose de mieux. » Bon, voilà. Que pouvons-nous attendre de ce confinement que nous n’attendions pas ?
Ce serait peut-être plus intéressant que les divers « journaux de confinement » qui ont fleuri dans plusieurs médias : Marie Darieusecq et sa « voiture immatriculée 75 planquée au garage » sur Le Point, Leila Slimani pour Le Monde, Lou Doillon sur le site de France Culture, etc. Facebook n’échappe pas à ce virus-là, qui voit proliférer anecdotes, photos et home-vidéos pour raconter, parfois humoriser ce temps du confinement. A tout prendre, on peut aussi voyager immobile avec Sylvain Tesson, qui s’était installé pendant 6 mois, en 2010, dans une cabane située sur les bords du lac Baïkal, dans le sud de la Sibérie… (La Cabane du recours, à écouter sur le site de France-Culture)
Ne pas oublier, cependant, que « la romantisation du confinement est un privilège de classe », comme le disait récemment le scénariste et historien Antoine Germa, qui réside à Brescia. Sans même parler des sans-abri (« Pour rester chez soi, il faut un chez soi », pétition lancée par Droits d’urgence), on n’est pas confiné à la même enseigne selon les mètres carrés dont on dispose pour respirer, et l’emplacement desdits mètres carrés. Comme l’écrit l’autrice Lola Lafon dans un message publié sur son compte twitter : « hâte de lire les journaux de confinement de celles et ceux qui vivent dans des petits appartements sans maison de campagne, de celles qui ne supportent déjà plus leurs enfants. De ceux et celles qui vivent dans les quartiers populaires etc. ». Souvenir personnel d’un milieu d’adolescence perché au 10ème étage d’un immeuble en pleine ZUP (comme on disait alors). Hors-sol. Je n’aimerais guère, en plein confinement, être aujourd’hui cet adolescent-là. Ni davantage migrant réfugié à Calais : « Une semaine après l’entrée en vigueur des mesures de confinement, aucune mise à l’abri n’a été décidée pour protéger les deux mille réfugiés qui vivent dans les campements du littoral nord de la France », écrit aujourd'hui Reporterre.
Là où je suis maintenant, tout n’est pas rose : internet bas débit, la plus proche gare fermée, commerces qui périclitent, virus du chômage, etc. Mais je mesure au moins la chance d’avoir les arbres pour voisins immédiats, de pouvoir sortir m’occuper du jardin ou faire un tour en forêt (le jogging, non, merci) sans attestation dérogatoire ni risque de croiser le moindre pandore.
Tout autour, dans les hameaux et villages voisins, nombre de maisons sont à vendre. Elles ne trouvent pas acheteur. Hors de la ville, point de salut ? Après des années passées à les vider, peut-être serait-il de bon ton de commencer à repeupler les campagnes… Proposition que je vais m’empresser de joindre à l’initiative lancée par François Ruffin. Reprenant à Gébé le titre de la bande dessinée publiée de 1971 à 1974 sous forme de série dans Politique hebdo, puis dans Charlie Mensuel et Charlie Hebdo, et sous-titrée « On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste » ; le fondateur du journal Fakir lance sur internet « L’an 01 », une plateforme collaborative pour « tracer des chemins vers l’avenir » :
« Penser l’après. L’après crise sanitaire. L’après Coronavirus. Comment la société va-t-elle s’en sortir ? De quel côté va-t-on basculer ? (…) Face à la catastrophe écologique, demain, face à un péril climatique, certes plus lointain que le Covid-19, mais mille fois plus terrible, usera-t-on de ces mesures hardies, intrépides, résolues ? Ou reviendra-t-on au business as usual ? (…) Car on le sait, intimement. Ce Covid-19 n’est qu’un prémisse, une répétition générale, un échauffement avant le réchauffement. »
Il est assez hallucinant de constater à quel point, dans les grands médias (pour ce que j’en lis / écoute / perçois), la surabondance d’informations et commentaires sur le confinement et la crise sanitaire évacuent quasi-totalement les raisons-mêmes de l’apparition et de la propagation du Coronavirus. Quelques rares exceptions : voici quelques jours, Ouest France a publié un entretien avec l’économiste Laurence Tubiana, titulaire de la chaire Développement durable à Sciences Po Paris et directrice de la Fondation européenne du climat : « Cette crise sanitaire est très liée à la crise écologique. Elle nous amène à réfléchir à notre surconsommation, à nos dépendances aux marchés internationaux, à l’interpénétration de nos économies. »
Pour conclure cette chronique, j’aimerais faire appel à un autre « expert » que l’on n’entend plus guère dans les médias. C’est un texte qui porte sur « le sentiment de nature dans les sociétés modernes » :
« Puisque la nature est profanée par tant de spéculateurs précisément à cause de sa beauté, il n'est pas étonnant que dans leurs travaux d'exploitation les agriculteurs et les industriels négligent de sa demander s'ils ne contribuent pas à l'enlaidissement de la terre. (…) De vastes contrées qui jadis étaient belles à voir et qu'on aimait à parcourir sont entièrement déshonorées, et l'on éprouve un sentiment de véritable répugnance à les regarder. D'ailleurs il arrive souvent que l'agriculteur, pauvre en science comme en amour de la nature, se trompe dans ses calculs et cause sa propre ruine par les modifications qu'il introduit sans le savoir dans les climats. De même il importe peu à l'industriel, exploitant sa mine ou sa manufacture en pleine campagne, de noircir l'atmosphère des fumées de la houille et de la vicier par des vapeurs pestilentielles.
(…)
La question de savoir ce qui dans l'œuvre de l'homme sert à embellir ou bien contribue à dégrader la nature extérieure peut sembler futile à des esprits soi-disant positifs : elle n'en a pas moins une importance de premier ordre. Les développements de l'humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s'établit entre la terre et les peuples qu'elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s'en repentir. (…) Parmi les causes qui dans l'histoire de l'humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière. »
L’auteur de ce texte ? Elisée Reclus (1830-1905), géographe du monde aux convictions anarchistes. Et ce texte hautement visionnaire a été publié par La Revue des Deux mondes en… 1866 !
APPENDICES
Arnaud Mercier, « La France en pénurie de masques : aux origines des décisions d’État ». Arnaud Mercier cite notamment un rapport parlementaire de mai 2005, co-signé par le député Jean Pierre Door et la sénatrice Marie-Christine Blandin (« Rapport sur le risque épidémique ») :
« Le moins qu’on puisse dire c’est que ce texte regarde avec lucidité et acuité les nouveaux risques qui planent sur nos sociétés modernes mondialement interconnectées. Il est rappelé que les maladies respiratoires aiguës tuent plus de 3 millions de personnes par an. Que ces maladies évoluent constamment, nous obligeant à vivre dans un univers où on aura toujours un vaccin de retard. (…) Tous les experts prédisent que des pandémies ne manqueront pas de survenir, et ce de plus en plus souvent. Une des plus récentes mises en garde officielles provient des États-Unis. Le Directeur du National Intelligence Service, Dan Coats, avertit dans son bilan sur les menaces dans le monde, le 29 janvier 2019 : « Nous estimons que les États-Unis et le monde resteront vulnérables à la prochaine pandémie de grippe ou à une épidémie à grande échelle d’une maladie contagieuse qui pourrait entraîner des taux massifs de décès et d’invalidité, affecter gravement l’économie mondiale, mettre à rude épreuve les ressources internationales. » Dan Coats parle du « défi de ce que nous prévoyons être des épidémies plus fréquentes de maladies infectieuses, en raison de l’urbanisation rapide et non planifiée, des crises humanitaires prolongées, de l’incursion humaine dans des terres auparavant non encore exploitées, l’expansion des voyages et du commerce internationaux et le changement climatique régional ».
Sur la chloroquine (et pas seulement) : Jean-Dominique Michel, « Covid-19 : fin de partie ?! »; et « Coûts de la santé : d'inconfortables vérités ? ». Jean-Dominique Michel est anthropologue de la santé et expert en santé publique. Il écrit notamment : « Nous savons aujourd’hui que le Covid-19 est bénin en l'absence de pathologie préexistante. Les plus récentes données en provenance d'Italie confirment que 99% des personnes décédées souffraient d'une à trois pathologies chroniques (hypertension, diabète, maladies cardiovasculaire, cancers, etc.). (…) Les maladies chroniques seraient évitables à 80% si nous nous donnions les moyens de protéger la population plutôt que de sacrifier sa santé au profit d'intérêts industriels. Nous avons depuis des décennies accordé des facilités coupables à des industries hautement toxiques au détriment du bien commun et de la santé de population. »
ARCHIVE
Pour Georges Canguilhem (1904-1995), philosophe et médecin, le vivant ne saurait être déduit des lois physico-chimiques ; il faut partir du vivant lui-même pour comprendre la vie. Une parole à savourer,
ici en dialogue avec François Dagognet (13').
Hier (23 mars), la directrice du Fonds Monétaire International, Kristalina Georgieva, a estimé « qu’il fallait s’attendre à «une récession au moins aussi grave que pendant la crise financière mondiale sinon pire» (en 2009, le PIB mondial avait baissé de 0,6%, selon les données du FMI. Pour les seules « économies avancées », il avait chuté de 3,16% et de 4,08% pour les pays de la zone euro).
Mais pas question de désespérer Wall Street et la City. D’un optimisme confondant, Kristalina Georgieva a ajouté : « Nous nous attendons à une reprise en 2021. (…) Plus le virus est arrêté rapidement, plus la reprise sera rapide et forte. »
Mais la reprise de quoi ? Aucune leçon ne sera donc tirée de cette pandémie, qui ne s’est pas propagée par hasard !
Dans ce contexte, il est intéressant de ré-entendre la voix de René Dumont, premier candidat écologiste à une élection présidentielle, en 1974. Je suis assez âgé pour me souvenir qu’à l’époque, Dumont passait pour un extra-terrestre. Il recueillera 1,32 % des voix lors de cette élection qui porta à la Présidence de la République un autre extra-terrestre (Valéry Giscard d’Estaing). René Dumont est mort à 97 ans, le 18 juin 2001.
A l’époque (années 1970, ça fait un demi-siècle), on ne parlait pas encore de « décroissance ». S’appuyant sur un rapport du Club de Rome, René Dumont parle de « croissance zéro ». Dans la vidéo proposée ici, il est interviewé par le journaliste Alain Hervé, qui fut lui aussi un pionnier de l’écologie (Fondateur des Amis de la Terre et de la revue Le Sauvage , il est mort le 8 mai 2019.