Au plus haut sommet de l’Etat, le scanner détecte un encéphalogramme plat en matière d’intérêt pour la Culture.
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En juillet 2005, François Hollande n’est pas encore Président de la République. C’est en simple premier secrétaire du Parti qu’il vient conclure les traditionnelles journées socialistes au Festival d’Avignon. L’homme est bonhomme, et dans la double chaleur vauclusienne et festivalière, on peut s’oublier un peu. Après avoir clos ce qu’on appelle les « débats » (même si de débats, il n’y eut guère, tant une certaine « gauche » s’est habituée à considérer comme acquis les suffrages des artistes et de tous ceux qui gravitent autour d’eux), François Hollande demande à ses proches :
-« Et ce soir, on mange où ? »
On sent le ventre impatient d’en découdre, l’appétit qui attend son heure, l’estomac qui prend subrepticement la place du ciboulot… Heureusement, il y a autour de François Hollande, même si président d’un parti et pas encore de la République, ceux qu’on appelle des « conseillers » (à l’époque, des hommes, exclusivement). Qui sont censés lui prodiguer des conseils, éventuellement de bon sens, comme celui-ci : en plein festival d’Avignon, il ne serait guère judicieux de ne point montrer sa bedaine dans une salle de spectacle. Un spectacle ? Le vilain mot… On se souvient avoir alors surpris un geste sans équivoque de François Hollande : quand on « caresse » sa joue du revers de la main, cela signifie simplement : « barbant ». Pour le futur président de la normalité, il semble tout à fait normal de ne pas même chercher à dissimuler que le théâtre, c’est forcément « rasoir ». Ses conseillers d’occasion tentent bien de le ramener à la raison. « Quand même, François, il faut te montrer… » Peine perdue, et on comprend : se montrer, à la fin, c’est lassant, surtout lorsqu’on a des talents d’acteur relativement limités. Jusqu’à ce que l’un des proches du premier secrétaire trouve l’argument imparable : « Mais si, François, viens dans la Cour d’Honneur, il y a Jan Fabre, tu verras, il y a plein de nanas à poil ». Et la petite troupe de s’ébrouer joyeusement…
Pourquoi ramener aujourd’hui à la surface cette anecdote vieille de sept ans et des poussières ? Parce que le temps est passé, qu’un destin élyséen est venu consacrer François Hollande, mais que rien n’a changé au fond, et que maintenant est comme avant. Ou bien, pour le dire autrement, sans autre forme de procès : un président de la République qui croit pouvoir s’abstenir d’aller de temps à autre au théâtre (ou dans un centre d’art, un concert qui ne soit pas de simple variété, etc.) n’est pas digne de la fonction présidentielle dont le suffrage citoyen lui a confié la charge. François Hollande en personne a le droit de ne pas s’intéresser personnellement à la Culture. Le président Hollande n’a pas ce droit, car ce n’est plus alors une faute de goût, mais une faute de démocratie. François Hollande restera-t-il dans l’Histoire de France comme le président le plus inculte de la Vème République ? Le pire est que cet absentement majeur (qu’une présence de circonstance aux obsèques de Patrice Chéreau ne suffit pas à masquer) passe à ce point inaperçu. Voilà des années que l’on jette l’opprobre sur la « démocratisation culturelle » qui aurait lamentablement échoué à transformer en consommateurs de biens culturels les êtres sans qualités. Outre qu’un tel argumentaire est odieux, puisqu’il s’agit d’instaurer une sorte de distinction de classe que conférerait la « culture cultivée » (faite par qui, et pour qui ?) ; il est parfaitement tendancieux. Le problème n’est pas en effet que la « Culture » se soit plus ou moins démocratisée, mais qu’à quelques exceptions près, les élites (politiques, économiques, sociales, etc.) s’en soient progressivement désintéressées. Peut-être était-ce, pour une part, faire semblant, afin d’avoir de quoi briller dans les dîners en ville : la cerise sur le gâteau. Tout cela est quasiment fini.
Sentiment de honte face à un tel vide de la pensée. Sentiment de honte, un beau jour de janvier 2013 lors de l’inauguration de Marseille-Provence capitale européenne de la Culture, lorsque dans les discours officiels, les pépites surgissent de la bouche de Jean-Claude Gaudin (même si c’est chiqué, le vieux renard a la faconde chevillée au corps et il a le sens du spectacle), et pire encore, de la bouche de l’ultra-libéral président de la Commission Européenne José Manuel Barroso, qui s’offre le luxe, en citant à la fin de son discours Albert Camus (« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ») d’embarquer la seule parole qui ait du souffle. Rien à voir, ce jour-là, avec la bouche pâteuse du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui récite laborieusement la prose qui aurait dû être celle de François Hollande : texte sans âme sorti de la plume de David Kessler, le conseiller culturel du Président de la République (celui-là même qui, quelques mois plus tard, recevra en cachette de la ministre de la Culture le maire de Nice pour discuter de la succession de Daniel Benoin au Centre Dramatique, sans états d’âme vis-à-vis des propos quasiment racistes que Christian Estrosi vient alors tout juste de tenir à l’encontre des Roms). Dans ce grandiose discours sur la Culture, il fut simplement dit, de façon presque désinvolte, que la Culture est un facteur d’attractivité économique et touristique. Ce qui fait une belle jambe.
Depuis lors, on n’a pas souvenir d’avoir une seule fois entendu dans un discours du Président de la République et du Premier ministre le moindre signe d’affection envers l’art et la culture. Quand bien même le feraient-ils, le bon sens populaire viendrait leur rappeler qu’il n’y a pas d’amour mais seulement des preuves d’amour. Or, pour ce gouvernement-ci, les preuves d’amour envers la Culture se nomment gel budgétaire et sanctuarisation. Aurélie Filippetti est bien seule à s’époumoner d’inaugurations en Forum d’Avignon (ce Davos des industries culturelles) qu’il n’y aura « pas de redressement productif sans redressement créatif ». Mais à l’heure qu’il est, pour redresser la créativité de François Hollande, il va falloir se lever tôt… Y a-t-il des magiciens dans la salle ?
Au début de son quinquennat, le Président de la République avait affirmé (c’était encore au Festival d’Avignon) qu’il ne laisserait aucune trace monumentale de son passage à la tête du pouvoir, mais promettait d’annoncer dans les meilleurs délais un « grand chantier » d’un genre nouveau. On avait alors cru comprendre que le « grand chantier » présidentiel allait concerner l’éducation artistique et culturelle. Et on a vu ce qu’on a vu ; c’est-à-dire trois fois rien. Récemment dans Le Monde, Clarisse Fabre rappelait qu’en France, les crédits de l'éducation artistique et culturelle représentent 39 millions d'euros, soit… 6 kilomètres d'autoroute ! Bonjour le grand chantier…
Texte mis en ligne sur www.mouvement.net