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Billet de blog 31 mars 2020

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Acheminement des masques chinois. Les cachoteries du Premier ministre

Non content d'aller chercher en Chine des masques anti-Coronavirus, le gouvernement français en confie l'acheminement à une société russe, présidée par un proche de Poutine, qui a joué un rôle trouble lors de la guerre en Syrie.

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Illustration 1
L’avion-cago Antonov 124, de la société russe Volga-Dnepr à l'aéroport de Paris-Vatry, le 30 mars 2020. © THOMAS PAUDELEUX / ECPAD / AFP

Le premier avion-cargo ayant acheminé de Chine 8 millions de masques pour les personnels soignants, s’est posé hier sur la base aérienne de Paris-Vatry, dans la Marne, un aéroport créé sur les restes d’une ancienne base aérienne de l’Otan, habitué à « réaliser du fret pharmaceutique, du transport d’explosifs, de pièces industrielles, d’animaux vivants, d’opérations militaires ou aérospatiales », précise son directeur, Christophe Parois. Mais un aéroport qui a aussi servi, ces dernières années, à acheminer l’aide humanitaire vers l’Australie, l’Amazonie, le Mozambique, l’Indonésie, etc..

Illustration 2
Alexey Isaikin, un proche de Poutine, président de la compagnie russe Volga-Dnepr, à laquelle le gouvernemernt français a confié l'acheminement des masques chinois.

L'avion qui s’est posé hier était un avion Antonov 124 (AN-124-100, 175 tonnes à vide) appartenant à  la société russe Volga-Dnepr. Cette société est loin d’être inconnue des spécialistes du renseignement de des questions militaires. Elle a été créée en 1990, avec le soutien de l’Union soviétique, pour rapatrier le matériel militaire envoyé en Afghanistan. Son fondateur et toujours président de société, Alexey Isaikin, 68 ans, ex-colonel de l’armée soviétique, y était précisément responsable des contrats du département de transport aérien militaire de l'URSS ! C’est aujourd’hui un proche de Vladimir Poutine. La compagnie Volga-Dnepr exploite différents types d'avions d'origine russe ; notamment une dizaine d'Antonov 124-100, gros porteurs, que la compagnie a jadis cédé à l'OTAN dans le cadre de certaines missions, jusqu’en avril 2018.

Sur injonction du président russe, Volga-Dniepr a annoncé sa décision de fournir des avions de transport Antonov 124 aux forces de l’alliance atlantique, dont la France, dès la fin de cette année 2018, claquant ainsi la porte du contrat Salis, signé dans le cadre de l’OTAN, qui permettait aux armées européennes d’accéder aux fameux Antonov via un système d’heures de vol prépayées. « Si Volga Dnepr est un groupe privé, le rôle du Kremlin, dans le contexte ultra-tendu du fait des possibles frappes franco-américaines en Syrie, apparaît évident », écrivait alors le magazine Challenges.

Cette même année 2018, François Cornut-Gentille, député Les Républicains de Haute-Marne, jetait un pavé dans la mare en présentant devant la commission des finances de l'Assemblée nationale (28 mars 2018) un rapport au vitriol consacré au transport stratégique de l'armée française, qui pointait la situation de dépendance de la France vis-à-vis de l'Ukraine, et surtout de la Russie. La grosse vingtaine d'An-124 disponibles dans le monde est en effet détenue par seulement trois compagnies: une ukrainienne (Antonov DB) et deux russes (une société publique, TTF Air 224, et une privée, Volga-Dnepr, dont il est ici question). François Cornut-Gentille suggérait d’étudier le scénario d’une acquisition de gros porteurs par la France: les fameux An-124, les C-5 Super Galaxy américain, voire une version militarisée de l’A380 ou du Beluga d’Airbus. Rapport enterré, tout comme celui de Santé Publique France, en mai 2019, sur les préconisations en cas de pandémie grippale.

Dernière précision : pour mener les opérations de fret aérien entre la Chine et la France, le gouvernement a fait appel à la société Geodis, holding regroupant des entreprises de logistique, messagerie, et transport routier. Présidente du directoire de GEODIS depuis octobre 2012, Marie-Christine Lombard est également membre du conseil de surveillance de Keolis, et membre du conseil d’administration de Vinci. Septième logisticien mondial, Geodis est en fait une filiale de la SNCF. Elle est plutôt spécialisée dans le fret ferroviaire, en se positionnant sur toute la chaîne logistique des produits : de l’acheminement des pièces vers les usines au transfert de leurs productions vers des centres de distribution et à l’acheminement vers les destinataires.

En octobre 2018 Marie-Christine Lombard présentait les ambitions du plan 2019-2023, notamment une hausse de 20 % du chiffre d’affaires ainsi qu’un doublement du résultat d’exploitation. Le journal La Croix alors : « Geodis profite d’une économie dans laquelle les pièces des produits manufacturés viennent du monde entier. » Pour rappel, enfin, En mars 2016, Geodis a fait l'objet d'un reportage dans le cadre du magazine Cash investigation, qui dénonçait le dumping social réalisé avec en particulier les chauffeurs routiers roumains.

Tout cela, le Premier ministre a bêtement oublié de nous le dire. Et le coût du contrat avec Geodis et Volga-Dniepr, c’est aussi secret-défense ?

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