Je prétexte une microbophobie doublée d’une crise d’hypocondrie sévère pour garder en toute circonstance cet accoutrement, et, en ces temps de pandémie, l’argument est plutôt bien reçu, on me laisse tranquille. Alors, incognito, je peux aller partout, m’intéresser à tout, parler de tout à tous, être écouté sans préjugés, sans soupçon d’être un agent de l’ennemi, sans crainte de voir mon propos interprété, voire rejeté avant même qu’il soit entendu pour la seule raison d’être qui je suis…
Masqué, comme Zorro, je suis libre. Je suis femme dans une réunion de femmes, black dans une réunion de blacks, jeune dans une réunion de jeunes, vieux dans une réunion de vieux...
Je parle, je me tais, j’écoute, je discute, j’argumente. Je défends la cause des femmes, la cause des blacks, la cause des jeunes, la cause des vieux. Pourquoi je défends ces causes? Parce que j’aime les défendre, et j’aime les défendre parce que, comme Zorro, je n’aime pas l’injustice.
Quand je prends la parole, on écoute ce que je dis, on me juge pour ce que je dis et non pour qui je suis. Parfois même j’ai entendu, parlant de moi, au moins lui/elle, il/elle sait de quoi il/elle parle, il/elle est bien comme nous!
Et qui pourrait en effet dire, en me voyant masqué, à part un complotiste anti-masque, faites attention, lui, il n’est pas nous? Il faut l’empêcher de parler!
Mais, le soir, quand j’ôte ma casquette, que j’enlève lunettes et masque, que je me regarde dans le miroir, c’est la déprime…. Je me dis, avec la gueule que t’as, mon pauvre ami, quand la pandémie sera finie, que les gestes barrière vont tomber, qu’il faudra retirer le masque, à part ta seule et propre cause, une cause perdue, quelle cause tu pourras bien défendre? Avec la gueule que t’as, qui voudra encore te parler? Qui voudra encore t’écouter? Qui voudra encore de toi?
Le confinement sera terminé, mais Zoro restera chez lui.