Quand Noémie rentre de l’école et dit, je me suis bien amusée, le cours était intéressant, ses parents sont inquiets : ils ne peuvent imaginer qu’on puisse vraiment apprendre sans sueur, sans souffrance et sans ennui.
Avant que ses parents n’appellent le directeur, ne fassent une pétition ou d’autres bêtises, Noémie les rassure, non, non, je blaguais, le prof m’a terriblement ennuyée ! Alors ses parents se détendent et sourient, que tu es bête ma pauvre Noémie ! Nous faire une telle frayeur! La soirée sera calme. Ils pourront regarder, tranquilles, la Théma d’Arte pendant que Noémie fera ses devoirs dans le bureau bibliothèque de papa.
Les profs savent que beaucoup des parents, parmi ceux qui sont influents à l'école, les cadres, les enseignants, les médecins, les avocats, les notaires, les journalistes, sont comme les parents de Noémie. Pour avoir la paix avec eux, les profs devront distiller l’ennui dans les classes, et si possible à l’ancienne. Au motif, répété partout dans les médias, que « c’était mieux avant », enseigner comme autrefois reste en effet toujours d'une brûlante actualité.
Estampillée « de tradition » ou « de terroir », à la manière des confitures « Bonne Maman », du café « Grand’ Mère » ou des tranches de jambon « Reflets de France », cette façon fossilisée d’enseigner, présentée avec les lourds bureaux à encriers de porcelaine et les plumes Sergent-Major, labellisée FZPB (Finkielkraut-Zemmour-Polony-Brighelli), fait toujours recette dans la plupart les écoles, et ce, malgré d'innombrables réformes.
Noémie peut en témoigner, le matin c'est toujours la sacro-sainte dictée, le tableau de conjugaison à apprendre par cœur, la règle de grammaire et ses exercices d’application, une série de divisions à faire obligatoirement dans l’ordre, un problème avec une seule réponse possible (où irait le monde, Noémie, et moi , ton maître, de quoi j’aurais l’air si un problème pouvait avoir plusieurs solutions ou pire pas de solutions du tout ?). Après le repas de midi, il y a toujours la leçon de choses avec peut-être usage (mais seulement si vous êtes sages, les enfants !) de l’appareil à diapositives ou de l’opascope. En fin d’après-midi, un bout d’EPS ou de musique ou de dessin ou de poésie (on verra, si on a le temps ! Mais, vous savez, les enfants, avec le programme, on n’a jamais le temps! Et puis, la poésie, c'est pas ce qui vous fera réussir votre bac!).
Bien sûr, les enfants sont toujours notés et classés et certains redoubleront (pas Noémie!) en fin d’année. Car à quoi sert de réussir si personne n'échoue? Le maître de Noémie a dit, c'est pour votre bien! Il faut vous habituer dès l'école à la concurrence, à la compétition, à la dure loi du marché. A la vraie vie !
Noémie pense, mais elle se sent un peu seule à le penser, que tout le problème de l'école est là: la manière d'y transmettre le savoir, quoiqu’en disent ces experts et journalistes qui n’ont jamais mis le moindre doigt de pied dans une classe, n'a guère changé depuis ces temps lointains où ses grands- parents la fréquentaient. L’école est plus conservatrice que libératrice. Faite pour les enfants de ceux qui ont l’argent ou le savoir. Noémie dit, c’est comme si l’école voulait maintenir l'ordre établi et nous garder en l’état d’enfance. Au pire, on en sort sans rien, tout juste prêt à être zombie dans une émission de télé-réalité , au mieux on en sort singe savant dans une classe préparatoire aux grandes écoles ! La société a tellement peur que sa jeunesse apprenne à penser différemment le monde qu’elle ne veut surtout pas lui apprendre à penser.