Et encore! J’en suis arrivé à consulter mon psy parce que j’al le sentiment d’être victime de moi-même. Oui, victime de moi-même! Je lui ai dit, voyez-vous, je n’arrête pas de me juger, de me critiquer, parfois même je me caricature, je ris de moi, et aux éclats, et il y a de quoi, car c’est vrai, je suis un imbécile ! Un parfait imbécile! Mais pour être pleinement heureux, j’aimerais ne pas le savoir, ne pas en en avoir conscience. Délivrez-moi, Docteur, je vous en supplie, de cette part de raison, de cette petite faculté de distanciation, de ce soupçon de réflexion, qu’on a essayé de m’inculquer depuis mon enfance et qui m’empoisonne la vie. Comme ça je pourrai donner libre cours, sans arrières-pensées, à mes pulsions, mes passions, mes émotions, mes croyances et je retrouverai mon moi originel, mon moi authentique. Je serai tout d’un bloc. L’homo monolithique. Pur, dur et sûr.
Un peu désemparé, me prend-il pour un fou, le praticien tente de me rassurer, vous savez, dans un monde où chacun se sent victime de quelqu’un ou de quelque chose, vous avez trouvé les ressources en vous-même pour être dans la normalité. C’est bien! Pensez au malheureux qui se sent victime de rien. Et ce qu’il assume aujourd’hui. Il doit être bien seul… C’est lui qui a besoin de mon aide!
Bien sûr cette réponse ne me satisfait pas du tout, mais je ne peux quand même pas me tourner vers mon avocat, cher maître, si je m’intentais à moi-même un procès pour insulte à mon identité profonde, aurai-je une chance de le gagner?
Alors j’ai une idée. Je vais m’inscrire dans une association dite des "victimes d’eux-mêmes", dont l’objectif est de faire rendre gorge à leurs bourreaux du mal-être existentiel que, par leur faute, ils subissent. Tout un programme! Mais c’est la bonne solution. On me dit que c’est efficace, que l’union fait la force, que quand un imbécile se regroupe avec d’autres imbéciles, il multiplie les chances de ne plus l’être à moitié.